XCalibur : pasteur affairiste, cousin belge et marché de gré à gré de 180 millions - anatomie d'un Etat capturé sous Tshisekedi
- mutambak96
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Il y a des scandales qui éclatent comme des bombes, et d’autres qui suintent lentement, dans l’odeur rance des marchés de gré à gré, des cousinades d’État et des pasteurs devenus courtiers du trésor public. L’affaire XCalibur Multiphysics Group S.L. appartient à cette seconde catégorie : un scandale feutré, enveloppé de jargon technocratique, mais chiffré en centaines de millions de dollars, et révélateur d’un système de prédation arrivé à maturité sous le régime Tshisekedi.
Cette affaire soulève de graves interrogations sur la transparence, la concentration du pouvoir décisionnel, le recours systématique aux procédures d’exception et le rôle d’acteurs privés proches du sommet de l’État, dans un contexte marqué par une opacité récurrente de la commande publique en République démocratique du Congo .
Un marché public exceptionnel par son montant et sa procédure
Les documents administratifs consultés font état d’une autorisation de passation de marché de gré à gré, portant sur des travaux de cartographie géophysique et géologique aéroportée, pour un montant de 179 463 041,06 USD hors taxes, Un montant astronomique dans un pays où les hôpitaux publics manquent de gants et où les enseignants sont payés comme des journaliers.
Il ne s’agit pas, à ce stade, d’une preuve de décaissement effectif, mais bien d’une autorisation administrative préalable, condition nécessaire à l’engagement ultérieur de fonds publics. Cette précision est essentielle sur le plan juridique.
Toutefois, dans un pays soumis à des règles de passation des marchés publics privilégiant l’appel d’offres comme principe, le recours à une procédure d’exception pour un montant aussi élevé appelle une justification renforcée, tant sur le plan économique que stratégique.
XCalibur : une multinationale respectable, un contrat congolais douteux
XCalibur Multiphysics Group S.L., société espagnole basée à Madrid, n’est pas une officine obscure. Elle opère sur six continents, dispose d’une flotte de plus de quarante avions spécialisés et revendique plus de 50 millions de kilomètres de levés géophysiques à travers le monde . Justement : comment une entreprise de cette envergure se retrouve-t-elle au cœur d’un montage congolais aussi opaque ?
Le marché congolais porte sur une mise à jour de données géophysiques nationales, alors même que le ministère des Mines disposerait déjà de données antérieures. Pire : le projet est fragmenté en sous-projets régionaux, stratégie classique pour diluer le contrôle, accélérer les autorisations et neutraliser toute concurrence.
La question soulevée par ce dossier ne porte donc pas sur l’existence ni sur la compétence de l’entreprise, mais sur les conditions spécifiques de son intervention en RDC, dans un environnement institutionnel marqué par une faible traçabilité des décisions publiques, une confusion fréquente entre intérêts publics et privés et une personnalisation excessive de l’accès aux marchés de l’État.
Le pasteur Shekinah : quand l’Évangile sert d’introduction aux contrats

Premier personnage-clé du dossier : Olivier Tshilumba Chekinah, dit pasteur Olivier Shekinah, citoyen canadien, prédicateur pentecôtiste et intermédiaire central dans le marché initial XCalibur.
Selon les informations du dossier , un premier contrat de 362 millions USD aurait déjà été obtenu par XCalibur, avec Shekinah comme facilitateur. Un premier volet de 102 millions USD, dont 24 millions effectivement payés, aurait permis de cartographier 542 000 km² au Katanga et au Kasaï — exploit présenté comme historique, puisque les dernières données complètes remonteraient à… 1906, époque coloniale belge.
Mais le pasteur n’est pas qu’un guide spirituel. Il est aussi un lobbyiste multi-cartes, déjà impliqué dans un litige avec un investisseur australien, notamment autour du projet Grand Inga, via des contrats de conseil chiffrés en centaines de milliers de dollars. Plus récemment, il est cité dans un contentieux commercial à plusieurs millions, lié à la vente de remblais de la Gécamines, avec accusations d’escroquerie entre partenaires. A ce jour, qu’une condamnation judiciaire définitive n’ait été rendue à ce jour. En RDC, la foi ouvre des portes que même les appels d’offres ne franchissent plus.
Adolphe Muzito : retour au Budget et aux vieilles méthodes
Deuxième protagoniste : Adolphe Muzito, Vice-Premier ministre et ministre du Budget depuis août 2025. Officiellement, le document autorisant le gré à gré émane de la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics (DGCMP), organe placé sous la tutelle directe du ministère du Budget .
Le document est clair : la procédure exceptionnelle est validée, une copie étant transmise au ministre pour information. Autrement dit, Muzito n’est peut-être pas le signataire final, mais il est le ministre politiquement responsable de l’organe qui autorise. Dans un État de droit fonctionnel, ce type de montage devrait faire l’objet : d’un contrôle renforcé a priori, d’une évaluation indépendante de la pertinence du recours au gré à gré, et, le cas échéant, d’un audit a posteriori par les organes compétents, notamment l’Inspection générale des finances.
Le passé politique d’Adolphe Muzito, y compris des controverses judiciaires largement médiatisées en Belgique, bien que n’ayant pas donné lieu à condamnation, renforce l’exigence de transparence attachée à ses fonctions actuelles. En effet, Adolphe Muzito traîne un passé encombrant : l’affaire Duferco-Kubla, où son nom et celui de son épouse furent associés à une remise de 20 000 euros en liquide à Bruxelles, prélude supposé à une somme bien plus élevée. Si la justice belge n’a pas retenu la corruption comme établie, le scandale, lui, demeure — tout comme la saisie d’importantes sommes dans une boutique Cartier, discrètement étouffée par la diplomatie belge .
Aujourd’hui, Muzito contrôle à nouveau les cordons du Budget, et avec eux, la clé des marchés publics.
Tony Kanku : cousin, belge, milliardaire sorti du néant
Mais le cœur politique du scandale bat ailleurs : Tony Kanku Shiku. Cousin biologique de Félix Tshisekedi, belgo-congolais, homme d’affaires et chef politique de l’AAAP, Kanku est présenté dans le dossier comme le porteur du contrat XCalibur. Il incarne à lui seul la nouvelle aristocratie congolaise, surgie du néant depuis 2019 : fortunes éclairs, partis politiques sur mesure, missions diplomatiques informelles, clubs de football, et accès direct aux circuits financiers de l’État.
Son nom apparaît également dans une plainte adressée à Bruxelles par des ONG contre la famille Tshisekedi, portant sur des soupçons de prédation, d’enrichissement illicite et de captation de ressources publiques. Un détail troublant : Kanku est de nationalité belge, donc juridiquement exposable à la justice européenne — contrairement à beaucoup de ses homologues restés prudemment congolais.
Bénéficiaire assumé de la fraude électorale massive de 2023, il est aussi le produit d’un népotisme décomplexé, où l’appartenance familiale et tribale tient lieu de compétence, de légitimité et de garantie morale.
Un système, pas un accident
Qu’on ne s’y trompe pas : l’affaire XCalibur n’est ni un malentendu administratif, ni une simple querelle d’interprétation juridique, encore moins une prétendue campagne de désinformation comme s’emploient déjà à le répéter les communicants du régime. Elle s’inscrit dans une mécanique désormais familière, patiemment rodée, où se croisent une multinationale à la compétence technique incontestable, un intermédiaire aux allures de prédicateur devenu courtier d’affaires, un ministre du Budget au passé lourd de controverses, et un cousin présidentiel brusquement propulsé au rang de milliardaire. Le tout est scellé par le recours quasi automatique à la procédure de gré à gré, transformant l’État congolais en un guichet privatisé, accessible à quelques initiés liés par le sang, la foi ou la proximité politique.
À ce stade, aucune preuve de décaissement total n’a encore été rendue publique. Mais l’autorisation administrative existe. Le cadre est posé. Le processus est engagé. Et l’expérience récente de la République démocratique du Congo enseigne une leçon constante : lorsque l’Union sacrée donne son aval, l’argent public finit toujours par s’évaporer.
Dès lors, la véritable question n’est pas de savoir s’il y aura scandale. Elle est autrement plus grave : qui aura encore le courage, la rigueur et la ténacité de le documenter jusqu’au bout ?
