Le Roi Philippe et Félix Tshisekedi : de la diplomatie verte au blanchiment politique
- mutambak96
- il y a 2 jours
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Derrière la poignée de main de Doha, un parfum de complaisance et de déni.
Le Roi des Belges, Philippe Iᵉʳ, a participé à Doha au deuxième Sommet mondial pour le développement social, où il s’est entretenu en tête-à-tête avec le président congolais Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Selon la communication officielle de la Présidence congolaise, la rencontre s’est déroulée dans un climat de parfaite entente. Les deux hommes auraient abordé plusieurs sujets d’intérêt commun, dont la mise en œuvre du « Couloir vert Kivu–Kinshasa », un projet phare censé symboliser la convergence entre développement durable et coopération internationale. La Présidence congolaise affirme que le Roi Philippe a salué la vision du chef de l’État et promis le soutien personnel de la Belgique, à travers Enabel et le secteur privé, pour accompagner l’initiative. En retour, Félix Tshisekedi aurait remercié le souverain belge pour son engagement, insistant sur l’importance du projet non seulement pour la RDC, mais pour l’humanité entière.
À Bruxelles, pourtant, le silence reste total. Aucun communiqué, aucune nuance, aucune mise au point. Cette absence de réaction laisse croire que la Belgique cautionne pleinement le récit d’un rapprochement sans nuages entre Kinshasa et Bruxelles. Le contraste entre la version officielle diffusée par la Présidence congolaise et l’absence de commentaire du Palais royal interroge : le Roi Philippe a-t-il volontairement laissé s’installer une lecture flatteuse d’une rencontre essentiellement protocolaire ? Ou la Belgique choisit-elle une fois encore la prudence d’État, fût-ce au prix de la vérité ?
Un projet vert qui camoufle un régime noir
Le “Couloir vert Kivu–Kinshasa” est présenté comme le plus grand projet écologique d’Afrique, une ceinture forestière et agricole de plus de 500 000 km² censée relier l’Est et l’Ouest du pays. Son ambition est de préserver les forêts primaires et de favoriser le développement durable par l’agriculture, les énergies renouvelables et le transport propre. L’idée, séduisante, a été lancée en grande pompe à Davos en janvier 2025 et reprise à Doha comme vitrine d’un Congo “pays solution” climatique. En apparence, le projet incarne la réconciliation entre environnement et économie. En réalité, il sert de vitrine politique à un régime en quête d’honorabilité. Derrière le discours vert, le pouvoir congolais tente de se refaire une image internationale, après une décennie marquée par la corruption, la fraude électorale et la répression.
La gestion opérationnelle du projet est confiée à la Fondation Virunga, dirigée par le prince Emmanuel de Mérode, dans le cadre d’un partenariat public-privé avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature. En s’impliquant dans cette entreprise, la Belgique lie donc son nom et son prestige à un pouvoir dont la gouvernance bafoue la démocratie et détourne les fonds publics. C’est cette ambiguïté qui choque : comment le Royaume peut-il, au nom du climat, appuyer un régime qui piétine les droits fondamentaux et instrumentalise la justice pour éliminer ses opposants ?
Une alliance diplomatique qui sent le reniement
Le Congo vit sous tension. Le pays s’enfonce dans une guerre qui déchire l’Est, où la rébellion M23-AFC affronte une armée nationale divisée et affaiblie. Félix Tshisekedi a remodelé la hiérarchie militaire selon des critères ethniques, transformant les FARDC en instrument clanique. À défaut d’une stratégie nationale cohérente, le pouvoir a recours à des supplétifs douteux : mercenaires étrangers, extrémistes hutus des FDLR, et groupes armés opportunistes. Sur le plan institutionnel, le président concentre tous les pouvoirs. L’opposition est muselée, les élections de 2023 ont été une mascarade organisée sur sept jours et sept nuits, et les opposants politiques sont poursuivis, arrêtés, torturés. Le moratoire sur la peine de mort a été levé, et son prédécesseur, Joseph Kabila, a été condamné à mort par une justice aux ordres.
C’est dans ce contexte que le Roi Philippe félicite Félix Tshisekedi pour sa “vision”. Ce geste, symboliquement anodin, confère pourtant au président congolais une légitimité internationale que son propre peuple lui refuse. Le pouvoir belge, en se taisant, entérine de facto la narration d’un Congo stable et partenaire, alors même que tout, sur le terrain, démontre le contraire.
Corruption massive, endettement colossal, fortunes subites
Sur le plan économique, la situation congolaise est catastrophique. En sept ans, la RDC s’est endettée de plus de dix milliards de dollars, sans que la moindre infrastructure majeure n’ait vu le jour. Les projets financés par la Banque mondiale et le FMI - gratuité scolaire, développement des 145 territoires, réhabilitation des routes - se sont transformés en gouffres financiers. La Cour des comptes a révélé des détournements de plus de deux milliards de dollars dans les dépenses liées à la guerre à l’Est.
Parallèlement, la famille Tshisekedi s’est enrichie de façon spectaculaire. Ceux qui, hier, vivaient à Bruxelles de petits boulots au noir et des allocations sociales, figurent aujourd’hui parmi les plus grandes fortunes du continent. Leurs biens immobiliers se multiplient à Uccle, Rhode-Saint-Genèse et Waterloo. L’argent du cuivre et du cobalt du Katanga, cœur économique du pays, circule par des circuits opaques mêlant opérateurs chinois, libanais et indiens, au bénéfice direct du clan présidentiel. Des plaintes ont été déposées en Belgique par des ONG katangaises pour blanchiment et détournement de fonds publics. Dans cette économie de prédation, la Belgique ferme les yeux : son système bancaire accueille l’argent sale d’un pouvoir qui a fait de la rente minière le cœur de sa survie politique.
Une diplomatie belge à géométrie variable
Depuis 2019, la Belgique joue un jeu trouble. Elle déplore les atteintes à la démocratie sans jamais conditionner son aide au respect des droits humains. Elle félicite un président issu d’une fraude électorale, ignore la répression de l’opposition, et célèbre à Doha une “coopération verte” qui tient davantage du blanchiment diplomatique que du partenariat durable. Cette duplicité traduit moins une naïveté qu’un calcul : préserver un accès privilégié aux ressources congolaises dans un contexte de compétition mondiale pour le cobalt et le lithium.
En mai 2025, la ministre belge des Affaires étrangères annonçait que la Belgique était “ouverte à un rôle plus important dans le secteur minier congolais”. Quelques semaines plus tard, Bruxelles se taisait face à une nouvelle vague d’arrestations d’opposants et à la suspension de dix partis politiques à Kinshasa. L’Europe, tout entière, semble avoir adopté la même posture : coopérer, financer, mais surtout ne pas contredire.
Un choix politique lourd de conséquences
En saluant la “vision” de Tshisekedi, le Roi Philippe a franchi une ligne. Il n’a pas seulement entériné un partenariat environnemental, il a offert au régime congolais un label de respectabilité que la communauté internationale lui refusait. Il a validé, sans le dire, un système dont la corruption, les violations des droits humains et la dérive autoritaire sont documentées.
La Belgique, qui aime se présenter comme un modèle de démocratie et de justice, risque de perdre ce qu’elle a de plus précieux : sa crédibilité morale. Car en associant son image à un pouvoir prédateur, elle ne se contente plus d’observer le drame congolais : elle y participe, par complaisance et par calcul.
Entre cynisme et aveuglement
L’histoire retiendra que, dans un moment où le Congo s’enfonce dans la guerre et la pauvreté, le Roi Philippe a choisi de serrer la main d’un président contesté pour parler d’écologie. L’hypocrisie diplomatique a rarement été aussi éclatante.
Derrière les discours sur la durabilité et la biodiversité, il n’y a ni paix, ni justice, ni développement : il y a un État effondré, un peuple abandonné, et une élite qui s’enrichit dans le silence complice de ses anciens maîtres.
La Belgique, jadis puissance coloniale, se veut désormais “partenaire vert”. Mais à force de confondre neutralité et lâcheté, elle risque de devenir ce qu’elle a toujours refusé d’être : le paravent d’un régime prédateur.




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