Hier, c'étaient les Demoerloos, Wan ou Piedboeuf qui étaient au service de Joseph Kabila. Aujourd'hui, ce sont les Heilmann et Spaey qui soutiennent la fratrie Tshisekedi. Tous ont un point commun. Les uns ont grandi à Liège, les autres à Bruxelles ou à Namur, tous sont des sujets du Roi ! Les pouvoirs changent mais les habitudes perdurent. Une mafia belge en remplace une autre. Voici l'histoire des nouveaux "Carbone et Spirito", qui écument les caisses du Congo.
Décembre 2021, les dirigeants régionaux de quatre des plus grands opérateurs de télécommunications en Afrique - Vodacom, Orange, Airtel, et Africell - sont convoqués au Palais de la Nation. Cette réunion intervient après une forte réaction populaire qui a obligé Félix Tshisekedi à annuler la taxe RAM. Pour compenser cette perte de revenus, la présidence envisage d'imposer une nouvelle taxe en cherchant à éviter d'augmenter le coût des communications. Lors de cette audience, les patrons des sociétés ont l'audace d’évoquer leur inquiétude sur le poids des charges fiscales qui pèsent sur leurs entreprises.
L'agence de presse Bloomberg dresse un compte-rendu hallucinant de cette rencontre. "Lorsque la réunion a commencé, les responsables de l’administration du président Félix Tshisekedi ont commencé à interroger les dirigeants, principalement des ressortissants étrangers qui représentaient Vodafone, Orange, Airtel et Africell, selon les personnes présentes. Les bureaucrates les ont informés que le gouvernement préparait de nouvelles règles strictes qui augmenteraient considérablement les factures d’impôts de leurs entreprises. Alors que les PDG commençaient à protester, un homme blanc aux cheveux noirs qui était assis en silence au fond de la salle est entré en leur disant qu’ils feraient mieux de se conformer, ont dit les gens. Il s’agissait de Philippe Heilmann, un ressortissant belge à la tête de la branche congolaise d’un cabinet de conseil suisse qui se décrit comme une « entreprise axée sur la technologie qui fournit des solutions numériques aux organisations publiques et privées ».
Passeports confisqués
Quelques mois après la réunion au cours de laquelle Philippe Heilmann est intervenu, les PDG des quatre grandes entreprises de télécommunications se sont retrouvés dans une situation délicate avec le gouvernement. Leurs passeports ont été confisqués et leurs licences d'exploitation menacées. Bien que la hausse des impôts évoquée en décembre 2021 ne se soit jamais concrétisée, un autre accord a été finalement établi. Selon cet accord, les opérateurs de télécommunications ont consenti à payer collectivement 5,8 millions de dollars supplémentaires par mois au régulateur des télécommunications, et ce, jusqu'en 2030.
Qui est ce Belge qui exerce une telle influence sur la gestion des affaires du pays ? Philippe Heilmann se révèle être l'un des nouveaux personnages clés au Congo, apportant des conseils à Félix Tshisekedi. Peu d'informations sont disponibles le concernant, sinon qu'il est associé au milieu du diamant d’Anvers à travers sa société Dreams of Africa.
Philippe Heilmann et son partenaire Jérôme Spaey sont reconnus dans les cercles du pouvoir comme les architectes du RAM. Leur entreprise, 5C Energy RDC a signé avec le ministre des Télécommunications congolais un arrangement visant à prélever un montant de 1,17 $ par mois sur chaque utilisateur de services de téléphonie mobile. Ce débit forcé a été vécu par les Congolais comme un véritable vol. Une arnaque financière sans pareille sur une des populations les plus pauvres du monde. Mise en place en septembre 2020, la taxe RAM a finalement été annulée en mars 2022 à la suite de manifestations à Kinshasa. Cependant, durant la mise en œuvre de cette mesure, le consultant a perçu 30 % des bénéfices du régulateur des télécommunications congolais. Et l'argent s'est envolé dans les comptes de la famille Tshisekedi et de ses partenaires. Selon la société civile, plus de 300 millions de dollars auraient été détournés aux dépens des Congolais, sans que l'utilisation de ces fonds n'ait jamais été justifiée.
Selon l'agence Bloomberg, le nom n'apparaît sur aucune des principales plateformes de médias sociaux. Les rares éléments découverts précisent qu'en 2008, Heilmann a créé une société d'import-export de diamants. Ce détail biographique est l'un des rares disponibles en ligne : sa famille a cofondé la Bourse du diamant d'Anvers, la première bourse au monde dédiée aux diamants bruts, dont une grande partie provenait du Congo.
Racket en bonne et due forme
En scrutant de plus près l'ingénierie financière et le véhicule mis en place pour mettre en oeuvre le racket des Congolais, on constate que 5C Energy a été fondée en Suisse au début de 2016, suivie par la création de 5C Energy RDC à Kinshasa 18 mois plus tard. L'entreprise se décrit comme un cabinet de conseil suisse qui fournit des solutions numériques aux organisations publiques et privées. En Afrique, 5C Energy avait conclu des accords avec un certain nombre d’organismes gouvernementaux locaux en Gambie pour mettre en œuvre et collecter des impôts en échange d’une part importante des recettes. "On ne sait pas exactement combien d’argent 5C Energy a collecté en Gambie, mais l’étendue de son travail et la manière dont ces contrats ont été attribués font actuellement l’objet d’une enquête du gouvernement gambien", affirme Bloomberg.
Quant à Philippe Heilmann, il a intégré 5C Energy RDCongo en novembre 2019, peu après sa formation. Sur son site Internet, 5C Energy mentionne TotalEnergies, Shell et Perenco comme premiers clients. Cependant, deux des entreprises contactées affirment n'avoir aucune trace de collaboration avec 5C Energy. Après avoir cessé ses activités de racket au Congo, 5C Energy a changé de nom pour devenir Veltio Consulting SA.
A la question de savoir comment Philippe Heilmann est parvenu à s'imposer comme une des têtes pensantes de la mafia financière congolaise, une enquête dans le milieu de la diaspora congolaise en Belgique indique que le diamantaire anversois a su délier les cordons de la bourse au moment où Félix Tshisekedi tirait le diable par la queue. A son accession au pouvoir, l'ancien opposant congolais d'hier se souviendra des amis et saura leur prouver sa reconnaissance. Philippe Heilmann est donc invité par le Chef de l'Etat à participer à la mainmise en coupe réglée du Congo.
L’associé rêvé
Ne maîtrisant aucun des codes du pouvoir en Afrique, P. Heilmann trouve en Jérôme Spaey, un partenaire idéal qui dispose d'une vraie connaissance de la région. Natif d'Ixelles, J. Spaye, 52 ans, a vécu en Angola où il a épousé la sœur d'un général des forces armées, chef des services secrets angolais. Une carte de visite rêvée pour gagner des marchés et faire fortune dans une dictature africaine ! En Angola, Jérôme Spaey obtient plusieurs marchés publics. La société française de travaux publics et de génie civil Eiffage lui confie la construction de passerelles sur les cours d'eau angolais. Pour décrocher ce contrat, Jérôme Spaey dont les activités sont suivies par les services français bénéficie du soutien discret d'un diplomate de l'ambassade française à Luanda. Dans les zones diamantaires angolaises, il tisse un réseau en distribuant des appareils téléphoniques satellitaires. La disgrâce politique inopinée de son beau-frère le contraint à quitter l'Angola pour retourner en Belgique. Spécialiste hors pair dans le trafic d'influence, Jérôme Spaey saura convertir les formidables introductions de Philippe Heilmann en RDCongo en jackpot.
Après avoir exploité le marché des télécommunications grâce à la taxe illégale RAM, Philippe Heilman et Jérôme Spaey se tournent désormais vers le secteur de la sécurité, où l'argent coule à flots sans réel contrôle. Déterminé à en finir avec les rebelles congolais du M23 et à frapper le Rwanda au cœur, Félix Tshisekedi n'hésite pas à dépenser sans compter. Selon le ministre des Finances, près de 200 millions USD sont alloués chaque mois aux dépenses militaires. Les commandes affluent de toutes parts : Turquie, Chine, Russie, tout équipement susceptible d'être acheté est acquis. Une aubaine pour le duo Heilman-Spaey !
C'est dans le domaine de la formation militaire et du recrutement de mercenaires que les deux hommes vont prospérer. Ils s'associent avec une société israélienne, Yaric Chen Consultant and Security, spécialisée dans la sécurité rapprochée. Ils parviennent à écarter une autre société israélienne, Synrgai, en jetant des suspicions opportunes sur son patron, l'ancien général Rony Numa, accusé de liens avec Kigali. Aujourd'hui, Yaric Chen assure la protection rapprochée de Félix Tshisekedi et la formation de 600 éléments de la garde républicaine. L'influence de Heilman dans le secteur de la défense et de la sécurité est d'autant plus grande que le nouveau ministre de la Défense, Guy Kabombo Mwadiamvita, est également redevable envers le diamantaire anversois. Lui aussi, par le passé, a bénéficié de quelques "dépannages" de l'homme d'affaires belge.
Sous l’oeil du fisc belge
Aujourd'hui, Philippe Heilmann et Jérôme Spaey se déplacent avec garde et escorte personnelle dans la capitale congolaise. Kinshasa est à leurs pieds. Les deux hommes ont intégré le club des gens puissants qui gravitent dans la constellation du pouvoir. Ils ont intégré dans leur logiciel que le pouvoir de Félix Tshisekedi est une pieuvre qui protège les siens, ne prête aucune attention à la transparence des marchés publics et n'a cure d'aucun compte à rendre à personne. Toutes les dépenses de Félix Tshisekedi sont effectuées en mode d'urgence, sans contrôle et souvent en espèces. Forts de leur réseau en Belgique et en Israël, et disposant de la bienveillance de plusieurs banques, Heilmann-Spaey sont devenus les chevilles ouvrières des détournements d'argent, des transferts des fonds de Félix Tshisekedi et de sa famille à l'étranger et des prête-noms pour les achats du clan sur les places européennes.
A Bruxelles, dans les services fédéraux des Finances, les fins limiers sont aux aguets. Les fortunes bâties sur la misère des Congolais ne durent jamais longtemps.
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