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  • Photo du rédacteurmutambak96

De Kabila à Tshisekedi, Jean Ledya ou le singulier parcours d’un oligarque congolais



Félix Tshisekedi a-t-il effectivement décidé d’effacer l’ardoise des hommes d’affaires congolais qui ont fait fortune sous son prédécesseur ? Le retour en grâce de Jean Ledya pourrait l’attester. Une première enquête sur l’un des oligarques de Joseph Kabila qui possède 17 sociétés réparties dans 7 secteurs de l’économie congolaise lève un pan de voile sur les intérêts croisés entre le pouvoir et le secteur privé.


Issu d’une famille modeste, Jean Lengo-dia-Ndinga est né le 29 septembre 1954 à Kinshasa. Les échelons de la vie sociale congolaise, l’homme d’affaires originaire du Kongo Central (ex-Bas Congo) les a gravis un à un. C’est l’histoire de la réussite d’un self made man. Après ses études secondaires, le jeune homme se lance dans le commerce entre Kinshasa et Brazzaville. A la force du poignet, il transporte des marchandises et profite des marges des produits de grande consommation entre les deux capitales les plus proches du monde. Il apprend très tôt les codes de la réussite dans les affaires. Ils se résument à la formule qui fera son succès : « l’argent se gagne en silence et se dépense en silence ».



Un homme repère les talents du jeune Lengo. Il s’appelle Augustin Dokolo, le célèbre patron de la Banque de Kinshasa. Tout en Lengo séduit le premier banquier noir africain. Désormais, à l’aube de ses 30 ans, en 1984, Jean Lengo se lance dans le commerce international. Face au puissant groupe Orgaman de William Damseaux qui dispose d’une flotte de chambres froides et de camions frigos qui font à tombeau ouvert la navette entre le port de Matadi et la capitale congolaise, Lengo-dia-Dinga va développer sa propre chaîne de froid et devenir un des plus grands importateurs nationaux. A telle enseigne que l’homme épouse le label de son groupe Ledya. Désormais, pour le commun des mortels, en RDCongo Lengo-dia-Ndinga devient Jean Ledya.


En quelques années, Jean Ledya s’impose dans le cercle des grands hommes d’affaires du Kongo Central. Sans complexe, il devient l'égal des Kinduelo, Kiwakana et autres Siluvangi. Les dollars s’accumulent sur sa table. L’homme qui s’est construit seul rêve de devenir le plus puissant homme d’affaires de RDCongo. Fin des années 90, Jean Lengo diversifie ses activités. Il s’engage dans l’immobilier, l’hôtellerie et la construction. Deux hôtels voient le jour. L’un à Matadi, l’autre à Kinshasa. Dans le Bas Congo, il acquiert une carrière de moellons. Il devient le principal fournisseur des matériaux de grosses constructions pour les entreprises chinoises qui sous la dictée de Joseph Kabila transforment la capitale congolaise. Jean Ledya développe également une fonderie qui livre le fer à béton et les câbles. Il occupe le secteur et fait partie des principaux bénéficiaires congolais du contrat chinois.

Jusqu’au début des années 2000, l’homme d’affaires se tient à respectueuse distance de la politique. S’il achète quelques fidélités parmi les élus et ministres de sa région, Jean Lengo est connu pour garder les poings serrés. En 2001, l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir va changer la donne. Déterminé à gravir les derniers échelons qui le séparent de la reconnaissance internationale, Jean Lengo va courtiser le jeune Président. « Il a pris une part active avec les autres notables ne Kongo lors de la réception de la dote d’Olive Lembe Kabila », se souvient un dignitaire du régime de l’époque.


En se rapprochant du cercle des Kabila, Jean Lengo a une idée derrière la tête. Il sait que l’argent est dans le secteur minier au Katanga. La privatisation de la Gécamines annonce la naissance des grandes fortunes congolaises. L’homme d’affaires du Kongo Central ne veut pas rater le train. Précédé par son aîné Pascal Kinduelo qui, avec le soutien du nouveau régime a créé sa propre banque, la BIC, Jean Lengo entre dans le cercle étroit des hommes d’affaires congolais qui visitent Joseph Kabila. Le Chef de l’Etat congolais est séduit par la réussite du self made man dont la discrétion n’a d’égale que l’efficacité.


En décembre 2005, le rêve de Jean Lengo se réalise. La Gécamines signe une dizaine de partenariats. Ledya en fait partie. Il acquiert la mine de Tondo et crée la compagnie minière de Tondo, CMT. A travers son entreprise Lerexcom Mining, Jean Ledya fait son entrée dans la cour des grands. Désormais, il parle cuivre, cobalt, manganèse, phosphate avec les CEO canadiens, suisses, australiens, kazakhs qui se sont eux aussi rués dans le Katanga. Le Centre Carter qui a examiné à la loupe ces partenariats estime qu’ils ont fait perdre 1,36 milliard USD entre 2007 et 2009.

En réalité, à quelques mois des élections présidentielles, par les privatisations des gisements stratégiques de la Gécamines au profit de ses amis, Joseph Kabila dessine sa victoire aux élections du 30 juillet 2006. Jean Lengo fait désormais partie des oligarques du pouvoir.



Sous la protection de Joseph Kabila, Jean Ledya ouvre la porte de tous les ministères. Les banquiers accordent généreusement crédit à celui qui murmure à l’oreille du Chef de l’Etat. Il obtient l’autorisation de construire un port privé à Matadi dans lequel il s’associe avec le groupe philippin ICTS. Les activités y prospèrent. Les bateaux accostent sur le nouveau port privé. Le mécontentement gagne les travailleurs de l’ONATRA qui voient d’un œil de colère le développement des infrastructures de Jean Ledya. « Nous n’avons plus de travail. Pourquoi un fils du pays est-il en train de ruiner nos familles ?», s’interroge un docker de la SCPT (ex-Onatra) qui assiste impuissant à la faillite de la société d’Etat. A Matadi, la colère gronde contre les ports privés.


Parallèlement, Jean Ledya rêve de prendre part dans le développement du grand barrage d’Inga. Jeune Afrique le range parmi les 50 Congolais les plus influents du pays. Jean Ledya s’engage dans un ambitieux projets de produire de l’électricité et d’ériger une ligne entre Inga et Cabinda. A Kinshasa, Brazzaville et Luanda, le nom de Ledya circule dans les cercles du pouvoir.


En 2016, les banquiers congolais commencent néanmoins à exprimer leurs inquiétudes face à l’endettement de l’homme d’affaires. La fin du régime Kabila qui s’annonce marque le signal de l’arrêt de l’expansion du groupe Ledya. Fournisseur de l’armée congolaise et de plusieurs administrations publiques, Jean Lengo qui truste de nombreux marchés publics se retrouve rapidement en difficulté. Le gouvernement ne paye plus ses factures. Les banquiers s’impatientent. Jean Ledya craint de perdre les fleurons de son groupe.


Contre toute attente, après sa victoire inattendue à la présidentielle de 2018, Félix Tshisekedi va « relancer » Jean Ledya qui entretient des relations amicales de longue date avec Vital Kamerhe et Fortunat Biselele. En quelques semaines, Jean Lengo réussit le tour de force de rentrer dans le jeu. Il finalise son projet pétrolier qu’il développe sous la société Lerexcom Petroleum. Au port Ango Ango, l’homme d’affaires ajoute deux terminaux pétroliers l’un à Matadi et l’autre à Maluku. Désormais, avec sa logistique de 58.000 M3 et 80 camions, Lengo compte dans le tour de table des distributeurs pétroliers.


« Jean a compris que pour survivre et reprendre les affaires, il lui fallait se débarrasser au plus vite de ses accointances avec l’ancien régime», affirme un des proches de l’oligarque qui a suivi son parcours au cours des dix dernières années. Pour Ledya, les affaires reprennent, les paiements de l’Etat aussi. Là où les ministres de Joseph Kabila mesuraient leur appui, le nouveau pouvoir réamorce la pompe. Fort de ses relations avec le Conseiller privé du Chef de l’Etat et de plusieurs autres proches du Président Tshisekedi, Jean Ledya voit à nouveau ses factures payées rubis sur ongles. En quelques mois, dans la plus totale discrétion, ce sont plusieurs dizaines de millions USD qui sont virés dans ses comptes. Reprenant sa vieille antienne qu’il avait oubliée, l’homme se cache sous les radars des médias et de la vie publique. L’argent se gagne en silence…


« Comment l’homme d’affaires de Kabila est-il rentré dans les grâces du nouveau pouvoir ? », s’interroge un banquier qui ne doute pas que l’oligarque a dû donner des gages aux nouveaux tenants du pouvoir. Le tout puissant inspecteur Général des Finances Jules Alingete qui fait partie de ses amis de longue date lui assure une nouvelle protection face aux enquêteurs du fisc. Si les enquêtes des médias internationaux mettent à nu les connexions entre les hommes d’affaires et Joseph Kabila, d’autres investigations ne vont pas tarder à mettre au grand jour la toile d’araignée tissée au fil des années par celui qui a toujours l’ambition d’inscrire son nom parmi les hommes d’affaires les plus puissants du Congo.


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