Bemba et les Mobondo ou le retour du seigneur de guerre
- mutambak96
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Alors que le procès de Roger Lumbala s’ouvre à Paris, ravivant les souvenirs du cauchemar de l’Ituri et de l’opération « Effacer le Tableau », une évidence s’impose : le grand absent du box des accusés demeure Jean-Pierre Bemba.
Le procès parisien, mené au nom de la compétence universelle, juge un homme de façade, mais laisse de côté celui qui commandait, planifiait et assumait la conduite des opérations : Bemba, dont l’ombre plane une nouvelle fois sur l’actualité congolaise.
Le retour d’un homme et la résurgence de ses méthodes
Vingt-cinq ans après les horreurs de l’Ituri, Bemba circule aujourd'hui à Kinshasa avec les attributs du pouvoir retrouvés : salons officiels, contrats opaques, jets privés, influence tentaculaire. Avec ce retour au premier plan réapparaissent des méthodes et des réflexes que l’on croyait confinés aux pages les plus sombres de l’histoire récente. Cette fois-ci, ce n’est plus à Mambasa que se joue le drame : c’est aux portes de la capitale. Les outils ont changé, mais la logique demeure.
L'ancien seigneur de guerre recyclé en vice-Premier ministre des Transports et allié incontournable de Félix Tshisekedi, replonge tête baissée dans le chaos. Après dix ans à croupir à Scheveningen pour crimes de guerre et contre l'humanité – condamnation confirmée par la CPI en 2016 pour massacres, viols et pillages en Centrafrique –, Bemba n'a rien appris. Libéré en 2018, il reprend ses vieilles habitudes : manipulation ethnique, corruption massive et vendetta obsessionnelle contre Joseph Kabila. Aujourd'hui, il instrumentalise les Mobondo pour déstabiliser la capitale, au risque d'un bain de sang généralisé
Aux origines du brasier : des tensions locales à la manipulation politique
Pour comprendre cette dérive, il faut remonter aux origines du phénomène. À l’origine, les Mobondo ne sont que les oubliés d’une crise locale, héritage d’un conflit entre Yaka et Teke, ravivé en 2018 sous Gentiny Ngobila et ayant fait plus de cinq cents morts dans une indifférence glaçante. Le brasier s’étend ensuite au Kwango, au Kwilu, au Kongo Central, porté par des frustrations profondes, des manipulations locales et des failles béantes dans la chaîne sécuritaire. Très vite, la rumeur enfle : une main extérieure alimente discrètement le feu. Des armes circulent, des hommes sont recrutés, des financements apparaissent. Des pourparlers au Palais de la Nation, orchestrés par Tshisekedi, échouent lamentablement, laissant la porte ouverte aux manipulateurs politiques
La main de Bemba : financement, encadrement, militarisation
Les informations convergentes issues de cercles sécuritaires, militaires et politiques dessinent un tableau inquiétant. Bemba aurait infiltré, encadré et financé une centaine d’éléments Mobondo, leur offrant armes, argent, refuges et même un campement discret au bord du Pool Malebo, à proximité du site militaire stratégique de Kibomango. Ce dispositif n’a rien d’un accident. Il ressemble à un plan méthodique, pensé comme une assurance politique, un levier de pression, voire un instrument de règlement de comptes. Car l’ancien seigneur de guerre n’a jamais digéré deux humiliations : la résistance de Kabila au début des années 2000, qui bloqua son avancée militaire et réduisit à néant ses ambitions de conquête, et l’effondrement de son empire politique lors de son arrestation par la CPI, au moment même où il se voyait déjà président. A ce jour, sa seule victoire militaire face à Kabila demeure la destruction de la clôture en tôles qui bordait la résidence privée de l'ancien chef de l'Etat afin de permettre à l'entreprise de construction de l'homme d'affaires indien Rahim Dhrolia d'accéder à la desserte qui conduit au bord du fleuve où Bemba érige un palais sur les rétrocommissions gagnées sur le marché du nouvel aéroport de Ndjili. Près de 400 millions de dollars de surfacturation ont été partagées entre une poignée de responsables liés à ce marché qui constitue un nouveau scandale financier au coeur de la capitale congolaise;
La militarisation de Kinshasa : un système parallèle
L'obsession de Bemba est demeurée intacte : régler son vieux contentieux avec Kabila, une fois pour toutes. Et dans cette équation, les Mobondo deviennent un outil idéal : malléables, violents, manipulables, capables d’agir dans l’ombre tout en offrant la possibilité d’un déni plausible. Dans la capitale, cette infiltration s’inscrit dans un phénomène plus large : la militarisation progressive de Kinshasa. Les groupes armés s’y multiplient. Les Mobondo ne sont qu’un élément d’un tableau plus vaste où se mêlent les Forces du Progrès de l’UDPS, des unités policières privatisées, des segments des FARDC inféodés à certains ministres, des réseaux occultes d’influence et des milices opportunistes recyclées sous couvert de sécurité. Le pouvoir civil s’effrite ; le pouvoir des armes, lui, s’étend.
Préalablement au recrutement des Mobondo, Jean-Pierre Bemba avait pris langue avec l'Inspecteur Général de la Police, le général Benjamin Alongaboni, afin de solliciter le recrutement d'éléments de la police nationale. Le président du MLC s'est vu opposé un refus ferme d'Alongaboni qui a refusé de se prêter à ce qu'il considère comme du terrorisme d'Etat. Depuis la rébellion, les deux hommes ne s'apprécient pas. Alongaboni, qui fut un des officiers les plus vaillants au front de l'Equateur lors de la rébellion du MLC, considère à ce jour son ancien chef comme un militaire d'opérette, prompt à crier mais incapable de conduire une bataille.
Kingakati : le choc et la signature
C’est dans ce contexte déjà inflammable que survient l’attaque de Kingakati, les 7 et 8 novembre 2025. Le domaine privé de Joseph Kabila géré par Mr. Piedboeuf, symbole politique majeur, est envahi par des combattants Mobondo. L’assaut est d’une brutalité extrême : soixante morts, dont le colonel Julva Langanga Sukami, lynché puis achevé à la machette. L’opération porte la marque des violences rituelles et punitives qui avaient déjà ensanglanté l’Ituri. Elle porte aussi la signature d’un homme qui teste sa capacité à frapper, à intimider, à rappeler qu’il reste un acteur militaire redoutable. L’ironie est totale lorsque l’on se souvient qu’un an auparavant, Bemba affirmait publiquement que « les Mobondo, c’est l’affaire de Kabila », promettant des preuves qui ne verront jamais le jour. Si l’ancien président avait réellement contrôlé ce groupe, ils n’auraient pas attaqué sa propre résidence.
Pendant que Lumbala répond, Bemba parade
Au procès de Roger Lumbala à Paris, ouvert le 12 novembre 2025 pour crimes contre l'humanité en Ituri (2002-2003), Bemba est cité pour son rôle dans l'opération "Effacer le tableau" – massacres, viols, pillages par ses troupes MLC. Lumbala, en grève de la faim et refusant de comparaître, réclame son audition comme témoin, accusant Bemba d'avoir fourni armes et hommes. Mais Bemba reste muet, sourd aux appels. Pendant ce temps, il s'enrichit scandaleusement : détournements au ministère de la Défense (722 millions de dollars révélés en mars 2025), commissions illicites, acquisition d'un jet Challenger de Philippe de Moerloos et d'un Embraer pour troupes. Corruption flagrante, pouvoir absolu !
Le Congo au bord de la rupture
Kinshasa devient un baril de poudre où tensions ethniques, ambitions politiques et manipulations armées s’entrecroisent. Les Mobondo ne sont ni un accident ni un phénomène spontané : ils sont une pièce d’un dispositif de confrontation qui rappelle les heures sombres de l’Ituri. Le pays avance au bord du précipice, pris en otage par des calculs individuels et des réseaux clandestins qui redessinent la carte du pouvoir, loin des institutions et loin du peuple.
Il est temps pour le pouvoir de briser les silences, de nommer les responsables, de démanteler les milices et de rappeler que la sécurité nationale ne peut être livrée aux ambitions personnelles. Le Congo n’a pas besoin de nouveaux seigneurs de guerre. Il a besoin de vérité. Et la vérité commence là où l’impunité prend fin.




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