Voyage au Kazakhstan : Tshisekedi, ERG et la grande braderie minière du Congo
- mutambak96
- 11 sept.
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Félix Tshisekedi a présenté son voyage d’État à Astana, les 9 et 10 septembre 2025, comme une étape historique dans la coopération internationale. Mais derrière les discours officiels et les tapis rouges kazakhs, la vérité est toute autre. Ce déplacement a servi de paravent à des tractations opaques avec Eurasian Resources Group (ERG), géant kazakh du cuivre et du cobalt, englué depuis des années dans des contentieux avec Kinshasa.
ERG n’est pas un partenaire anodin. Héritière du sulfureux groupe ENRC, désormais immatriculé au Luxembourg, la société est détenue à 40 % par l’État kazakh, le reste étant réparti entre les familles Machkevitch, Chodiev et Ibragimov. Le groupe vit une zone de fortes turbulences : en 2024, il a enregistré une perte record de 1,2 milliard de dollars avant impôts, conséquence d’un endettement coûteux, de pertes de change sur un tenge déprécié et de refinancements pénalisants. Cette saignée financière intervient alors même qu’ERG revendique un rôle majeur dans le cobalt, le cuivre, les ferroalliages et l’aluminium.
En République démocratique du Congo, via ERG Africa, le groupe exploite notamment Metalkol RTR, site de classe mondiale spécialisé dans le retraitement des résidus de cuivre et de cobalt. Metalkol est devenu l’un des plus gros pourvoyeurs de cobalt de la planète, avec une production estimée à environ 19 200 tonnes de cobalt (forme hydroxyde) l’an dernier, soit près de 9 % de la production congolaise et environ 7 % de l’offre mondiale, selon Darton Commodities. En mars 2025, face au gel des exportations de cobalt décidé par Kinshasa, ERG a déclaré la force majeure sur ses livraisons : un choc qui a mis à nu la vulnérabilité du groupe et l’ampleur de sa dépendance au Congo.
Cinquante millions et un nouvel homme fort
Le décor d’Astana camouflait l’essentiel : solder des litiges qui s’empilent depuis plus d’une décennie autour de Boss Mining, Comide, Frontier/Comisa ou de permis restés inactifs (Swanmines/Kalukundi), avec à la clef arbitrages à Genève et à Paris, griefs sur les obligations sociales et environnementales, et disputes sur des redevances et dettes intra-groupe. La visite avait pour objectif réel de « fermer » ces dossiers hors scène et d’éviter des décisions susceptibles de coûter cher, à la fois à ERG et à l’État congolais.
Derrière la poignée de main officielle, il y a l’argent. Cinquante millions de dollars auraient été versés avant l’arrivée du chef de l’État congolais pour « faciliter» la réconciliation. Au cœur de cette transaction, Patrick Luabeya, envoyé spécial du Président, présenté comme l’artisan de cette contrepartie immédiate. On a parlé d’un «geste de bonne volonté» : il ressemble surtout au prix d’une paix judiciaire payée cash, pendant que la transparence et la redevabilité restent introuvables. (Éléments consolidés de sources industrielles et diplomatiques, cohérents avec la transaction annoncée entre ERG et Gécamines).
La Gécamines, jadis fierté nationale, est encore réduite à un rôle de figurant. Présent dans la délégation, Guy Robert Lukama, son PDG, a pris part aux tractations, sans que les Congolais sachent quelles concessions ont été offertes ni quelles redevances ont été sécurisées. Sur le terrain, les communautés minières attendent toujours routes, écoles, hôpitaux. Elles n’ont vu que poussière, eaux polluées et promesses creuses. En 2023, le régulateur rappelait pourtant l’ampleur des flux : Metalkol a payé près de 180 millions de dollars à ses sous-traitants en 2023 (et environ 250 millions en incluant d’autres actifs, comme Frontier), signe que l’argent circule, mais rarement au bénéfice du bien commun.
Aux côtés de Tshisekedi, deux hommes tirent aujourd’hui les ficelles de la recomposition minière : Guy Robert Lukama et Patrick Luabeya. Ces acteurs redessinent la carte du Congo depuis des salons étrangers, à huis clos. Aucune transparence. Aucune redevabilité. Le Parlement n’a pas été consulté. Le peuple n’a pas été informé. On ne sait pas si l’accord inclut des engagements clairs sur les royalties, sur des investissements d’infrastructures ou sur des obligations environnementales auditées. Et l’on voudrait que les Congolais aillent dormir tranquilles.
Après Christian et Jacques, voici un nouveau Belge, Thierry Tshisekedi
Les zones d’ombre s’épaississent encore quand on évoque la famille Tshisekedi. Des enquêtes ont pointé l’immixtion de proches dans les périmètres d’ERG. Thierry Tshisekedi est cité dans des tractations artisanales autour de concessions du Lualaba, ce que le groupe a toujours démenti. Reste que les témoins locaux et des rapports administratifs évoquent l’afflux de creuseurs artisanaux sur des sites et carrés miniers rattachés à ERG, l’intervention récurrente de la police pour «sécuriser» les périmètres, et la dilapidation de matières précieuses revendues au rabais. Quand l’arbitre devient joueur, l’intérêt national disparaît.
Ce voyage à Astana ne visait pas seulement à sauver ERG ; il servait aussi une autre partie. Kinshasa a exploré l’idée de faire céder des participations à ERG pour libérer un site destiné à un partenaire américain, alors que Washington, sous l’impulsion de Donald Trump, réclame du cuivre et du cobalt «compatibles US» pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Problème : la RDC n’a presque plus d’actifs immédiatement libérables. La manœuvre consiste donc à forcer des recompositions capitalistiques pour livrer vite, quitte à déstabiliser encore le secteur. « Avant son voyage à New York pour participer à l'Assemblée Générale des Nations Unies, Félix Tshisekedi cherche à tout prix à donner à Donald Trump un actif minier », affirme une responsable de la société civile du Katanga qui s'insurge contre les méthodes du Chef de l'Etat congolais qui brade les minerais du Katanga pour son profit personnel et celui de sa famille.
Le contraste est violent. D’un côté, ERG claironne vouloir investir 800 millions de dollars pour relancer Comide et communique sur ses «cahiers des charges» communautaires. De l’autre, l’État congolais gèle les exportations de cobalt, provoque des déclarations de force majeure, puis négocie dans le secret un règlement global. Pendant qu’ERG annonce, la perte de 1,2 milliard documente sa fragilité. Pendant que Gécamines s’efface, ERG rappelle avoir injecté « plus de 9 milliards de dollars au Congo depuis 2009 » et que Metalkol/Comide représentent des capex cumulés proches du milliard. Ces chiffres existent ; ils n’excusent pas l’opacité.
La transaction de la honte
Un proche de Jean-Pierre Muteba, qui représente le collectif d'ONG congolaises qui ont porté plainte en Belgique contre les Belges d'origine congolaise qui ont fait main basse sur les richesses minières de la RDC, ne mâche pas les mots, il évoque « la transaction de la honte ». L'homme poursuit et déclare : « Il faut dire les choses simplement. Un accord digne, dans un pays digne, doit être public, vérifiable et sanctionnable en cas de manquement. Il doit afficher les royalties nettes dues à l’État, les investissements contraignants à réaliser, les emplois locaux à garantir, les indemnisations en cas de pollution, les audits indépendants sur l’eau, l’air et les sols. Aujourd’hui, rien. Aucun texte publié. Aucun calendrier chiffré. Aucun engagement opposable. Le secret fait loi, et la rente fait foi".
La vérité est têtue. Le voyage d’Astana n’a pas relancé la coopération ; il a maquillé une reddition. ERG obtient la paix judiciaire et verrouille ses concessions. Tshisekedi engrange de l’argent frais et soigne son image internationale. Lukama et Luabeya s’installent en architectes opaques de la carte minière congolaise. Danny Banza, ex-intermédiaire privilégié entre ERG et la Gécamines, a été supplanté par Luabeya ; il vit aujourd’hui à Monaco, silhouette parfaite de ces fortunes bâties sur des deals sulfureux dont le pouvoir a largement profité. Et les Congolais, une fois encore, n’ont rien : ni routes, ni écoles, ni hôpitaux, ni emplois stables.
Ce qui a été conclu à Astana n’est pas un partenariat. C’est une trahison. Une braderie déguisée en victoire diplomatique qui livre, une fois de plus, les richesses du Congo à des intérêts étrangers, au prix d’un troc politique sans transparence, sans redevabilité, sans honneur.




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