Miguel Kashal Katemb et Jules Alingete, les vautours de la sous-traitance
- mutambak96
- 6 juin
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Dernière mise à jour : 7 juin

L’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé (ARSP), créée en 2018 pour promouvoir les PME congolaises et diversifier l’économie nationale, est aujourd’hui au bord du gouffre. Sous la direction de Miguel Kashal Katemb, nommé Directeur Général en novembre 2022, cet établissement public, jadis fleuron de l’entrepreneuriat, est devenu un théâtre de détournements, de népotisme et de corruption. Les accusations pleuvent, portées par des agents, des cadres et la société civile, tandis que Jules Alingete, ancien Inspecteur Général des Finances, est pointé du doigt pour son silence complice. Cet article, inspiré de l’enquête explosive d’Opinion-Info et enrichi par les récentes révélations de la presse congolaise, décortique le système de prédation orchestré par Katemb, ses retournements de veste politiques, ses liens troubles avec le groupe Malta Forrest et son allégeance servile à Félix Tshisekedi et sa famille.
Une institution pillée : les chiffres accablants
L’ARSP avait tout pour réussir. En 2023, elle a conclu des contrats de 73 millions de dollars avec Sicomines et de 100 millions avec sept entreprises, sous l’impulsion de Tshisekedi. Une base de données des PME a permis à Rawbank de financer des micro-entreprises à hauteur de 200 millions de dollars. En 2024, l’ARSP revendique 1.275 contrats pour plus de 2 milliards de dollars, générant une redevance de 1,2 % estimée entre 130 et 150 millions de dollars. Pourtant, malgré ces performances, l’institution frôle la faillite.
Les agents dénoncent une gestion calamiteuse. Deux mois d’arriérés de salaires, des coupures d’eau et d’électricité au siège, des soins de santé suspendus à l’hôpital Diamant pour 48 millions de dollars de factures impayées : le personnel est à bout. Freddy (nom d’emprunt), un agent, s’indigne : « Le DG Miguel a trouvé une institution en bonne santé financière, mais aujourd’hui, l’ARSP est presque en faillite.»
Katemb a même sollicité un préfinancement sur la redevance, malgré des recettes colossales, selon ses propres déclarations médiatiques.
En 2023, le solde bancaire de l’ARSP à la Sofibanque est passé de 46,5 millions à 300 000 dollars. Un document de 37 pages, consulté par Opinion-Info, révèle des retraits massifs, notamment 30 millions en cash par Juive Ikas, une proche de Katemb. Ce dernier a contracté un prêt de 30 millions à Rawbank pour un immeuble inachevé de Malta Forrest, introuvable à ce jour, et un autre de 6 millions, dont une partie a financé ses entreprises de transport de minerais. Pablo (nom d’emprunt) accuse : « Il a vidé les caisses pour financer sa campagne électorale et celle de sa plateforme politique en 2023. »
Fausses déclarations fiscales et opacité
Katemb est également épinglé pour des déclarations fiscales frauduleuses. En juillet et août 2024, il a affirmé aux institutions (DGI, CNSS, ONEM, INPP) que l’ARSP souffrait de problèmes de trésorerie, déclarant des recettes nulles. Franco, un cadre, conteste : « Les recettes étaient bien là. En août, cinq entreprises ont signé des contrats avec Huawei en une journée. »
Le rapport 2024 de l’ARSP mentionne des marchés de plus de 2 milliards de dollars, et Jules Alingete, en novembre 2024, saluait une augmentation de 500 millions par rapport à 1,6 milliard début 2024. Ces contradictions suggèrent que les fonds ont servi des intérêts privés.
Le budget 2023 de l’ARSP, présenté à 47 millions de dollars, contraste avec un rapport de conciliation avec le FOGEC, signé le 9 février 2024, indiquant 76,5 millions. Cette opacité alimente les soupçons de détournement. Les salaires sont payés par découverts bancaires auprès de Rawbank, FBN Bank et Equity-BCDC, générant des dettes colossales. Les cotisations sociales et fiscales (CNSS, ONEM, INPP, DGI) accusent des retards récurrents, aggravant la précarité des agents.
Alingete, le silence complice
Jules Alingete, ex-patron de l’IGF, est au cœur du scandale via son cabinet DACO Consulting, géré par son épouse Nanou Mukawa depuis 2020. En février 2023, DACO signe un contrat de gré à gré avec l’ARSP pour 30 000 dollars mensuels, censé couvrir des services fiscaux et comptables. Pourtant, l’ARSP dispose d’experts internes, et ses obligations fiscales sont gérées par les centres d’impôts synthétiques, sans impôt sur les bénéfices ni TVA. Marco, un agent, dénonce : « Ce contrat est un canal pour saigner l’ARSP. DACO a perçu 1,74 million, dont 240 000 dollars de TVA non déclarée, sans prestation justifiée. »
Les inspecteurs de l’IGF, sous Alingete, en patrouille à l’ARSP, n’ont rien signalé sur ces malversations. Marco accuse : « Ils étaient là pour faire disparaître les preuves. »
Alingete, contacté par Opinion-Info, se défausse, affirmant avoir quitté DACO en 2020 et renvoyant à l’ARSP pour les explications. DACO, de son côté, a refusé de réceptionner une correspondance, usant de manœuvres dilatoires. Ce silence, pour un homme connu pour sa fermeté face à la corruption, soulève des soupçons de complicité.
Retournements de veste : un parcours opportuniste
Miguel Kashal Katemb, décrit comme un « politicien hybride », a bâti sa carrière sur des alliances opportunistes. Membre du PPRD de Joseph Kabila, il a servi dans les cabinets des gouverneurs du Haut-Katanga Jean-Claude Kazembe et Pande Kapopo. Élu député provincial en 2018 sous l’étiquette PPRD, il devient ministre provincial des Infrastructures sous Jacques Kyabula, un fidèle de Kabila. Lors de la rupture de la coalition FCC-CACH en 2020, Katemb opère un virage spectaculaire, se ralliant à Félix Tshisekedi.
Ce retournement, loin d’être idéologique, est motivé par l’ambition. Katemb se présente comme plus « tshisekediste » que les loyalistes de l’UDPS, s’appuyant sur des liens présumés avec la famille présidentielle pour asseoir son pouvoir. Nommé DG de l’ARSP en novembre 2022, il multiplie les campagnes de communication pour vanter son allégeance à Tshisekedi. En décembre 2023, il appelle les jeunes à soutenir le second mandat de Tshisekedi, promettant de consolider sa vision entrepreneuriale. En janvier 2024, un sondage le place dans le top 3 des personnalités ayant œuvré pour la réélection de Tshisekedi, grâce à une campagne intense au Katanga.
Pourtant, dès décembre 2022, des voix s’élèvent contre sa nomination. Mohamed Ilunga, un jeune entrepreneur, reproche à Katemb, alors ministre provincial, d’avoir favorisé des entreprises étrangères (EGMF, RULCO, RULVIS Congo) au détriment des Congolais, contredisant la vision de Tshisekedi. Ces critiques, ignorées, annonçaient déjà les dérives à l’ARSP.
Proximité avec Malta Forrest : un lien trouble
Les liens de Katemb avec le groupe Malta Forrest, un acteur majeur du secteur minier, sont particulièrement troublants. En 2023, il contracte un prêt de 30 millions à Rawbank pour acquérir un immeuble inachevé appartenant à Malta Forrest, qui reste introuvable. Cette transaction, sans justification claire, alimente les soupçons de détournement. En avril 2023, Robert Friedland (Ivanhoe Mines) et Georges Arthur Forrest, patron de Malta Forrest, saluent la gestion de Katemb, louant son action pour la sous-traitance. Cette proximité contraste avec les accusations de favoritisme envers des entreprises étrangères lorsqu’il était ministre provincial.
La relation avec Malta Forrest semble dépasser le cadre professionnel. Les fonds détournés auraient pu bénéficier à des réseaux liés à ce groupe, connu pour son influence dans le Katanga. L’absence d’enquête sur cet immeuble fantôme renforce l’idée d’un système protégé par des connexions puissantes.
Une propagande coûteuse pour masquer l’incompétence
Katemb excelle dans l’art de la communication. Depuis 2022, il investit massivement dans une campagne de propagande, dépensant 500 000 dollars pour des sociétés comme Manne Cachée, Publi Inter et Tayari, selon l’agent Isaac. Des affiches le montrant aux côtés de Tshisekedi ornent les grandes villes, de Goma à Kinshasa. Les réseaux sociaux et les médias relayent ses « performances », souvent exagérées. En septembre 2023, un sondage le classe premier mandataire public avec 72 % d’opinions favorables, citant sept actions phares, comme la transformation d’un chauffeur congolais en millionnaire grâce à la sous-traitance.
Mais cette image est un mirage. Les agents regrettent la gestion d’Ahmed Kalej Nkand, prédécesseur de Katemb, qui avait posé des bases solides sans politisation. Katemb, lui, nomme des proches de dignitaires pour couvrir ses malversations : Mabi Mulumba Yannick (fils d’un ex-Premier ministre), Juive Ikas (recommandée par un député), ou Josué Kilolo (fils d’un ex-patron du CNS). En deux ans, il change quatre directeurs financiers pour dissimuler sa gabegie. Il interdit le syndicalisme, chasse les agents compétents et instaure un climat de terreur.
La presse congolaise sonne l’alarme
Depuis juin 2024, la presse congolaise relaie les accusations contre Katemb. Le 1er juin 2025, Grand Journal rapporte une « nouvelle affaire de présumé détournement » à l’ARSP, plaçant Katemb dans la tourmente. Le 2 juin, Congo Monde évoque des « graves soupçons de détournement ». Le 5 juin, Kinshasa Web publie l’enquête d’Opinion-Info, dénonçant le duo Katemb-Alingete sous les hashtags #AlingeteGate et #AlligatorLeaks. Le Potentiel, le 1er juin 2025, lie les scandales de l’ARSP à l’échec de Tshisekedi à garantir une gouvernance transparente, notant que l’ONG ASSOMIP.Mu a alerté le président sur ces malversations.
Ces révélations s’ajoutent à des critiques antérieures. En juillet 2023, des journaux comme Congo Nouveau et EcoNews vantent les discours de Katemb à Goma, où il sensibilise les étudiants à l’entrepreneuriat. Mais dès mai 2023, des commentaires sur MediaCongo.net doutent de la portée de ses contrôles, limités à Kinshasa, accusant une « concentration du fric ». Ces contradictions montrent un homme habile à manipuler son image, mais incapable de gérer l’ARSP.
Une fin de règne en vue ?
Face à l’ampleur du scandale, Félix Tshisekedi a réagi. Alerté par la société civile, il a chargé le ministre Louis Watum de faire la lumière sur les accusations. Le président, qui avait salué les « prouesses » de Katemb en novembre 2023, semble désormais douter de sa loyauté. Katemb, contacté par Opinion-Info le 26 mai 2025, est resté inaccessible, signe de son repli face à la tempête.
Le peuple congolais, lassé par la kleptocratie, exige des comptes. L’ARSP, pilier de l’économie, ne peut être la proie d’un opportuniste et de ses complices. Katemb, Alingete et leurs réseaux doivent répondre de ce pillage. La justice doit trancher, et Tshisekedi, s’il veut restaurer la confiance, devra frapper fort. L’avenir des PME et de la classe moyenne congolaise en dépend.
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