
À la 10ème rue à Limete, aux abords du siège de l'UDPS, les « wewas » - ces fameux motards qui représentent la force de frappe de la milice - sont en ébullition. On leur avait promis un partage de la bagatelle de 300 000 USD pour patrouiller dans la ville et transporter sur leurs motos les membres de la milice, chargés de mener des opérations de saccage dans le quartier huppé de la Gombe, ciblant particulièrement plusieurs ambassades occidentales, quelques chancelleries africaines et les résidences de Congolais accusés d'être pro-rwandais.
Malheureusement, l’enveloppe promise ne s'est jamais matérialisée. Au lieu des 100 USD escomptés par moto, ils n'ont reçu qu’un ridicule billet de 20 000 FC, soit 5 dollars. En colère, les motards qui se sont promis qu’ils iraient se servir eux-mêmes dans les prochains pillages.
Cette situation pourrait passer pour une banale anecdote de détournement, un épisode de plus auquel les responsables de l'UDPS nous ont habitués, si les conséquences de ces actes de violences contre des représentations étrangères couvertes par l’immunité diplomatique n’étaient aussi graves. Les incendies allumés aux portes des ambassades de France, de Belgique et des États-Unis et les pillages ont conduit les compagnies aériennes belge et française — SN Brussels et Air France — à suspendre temporairement leurs vols vers Kinshasa. Cette interruption des vols oblige le Département d'Etat américain à affréter un avion et à négocier avec le gouvernement Suminwa le départ des ressortissants américains qui sont invités à quitter la RDCongo.
Plusieurs résidences ont été ciblées, dont celle d’un diplomate américain dont l'épouse est Tutsi. Après avoir appelé en vain à l’aide des forces de l’ordre congolaises, le diplomate a été secouru par les gardes de l’ambassadeur qui sont intervenus pour sauver le couple menacé.
Aucun étranger n’est en sécurité
La situation actuelle met en lumière non seulement la montée de la violence, mais aussi l'incapacité du pouvoir à gérer le pays et contenir cette spirale d'agressions à l’encontre d'intérêts étrangers. Aucun étranger vivant à Kinshasa n’est en sécurité. «Jusqu’à présent, le quartier des diplomates et la commune de la Gombe était inviolable. Depuis 1960, jamais la population n’avait franchi cette barrière invisible qui séparait à l’époque coloniale la communauté des blancs et celle des Congolais », dit Séraphin Nzeza, un vieil aide-soignant formé à l’époque coloniale. L’octogénaire conclut : « En envoyant sa milice saccager les maisons, piller des immeubles et investir des résidences des occidentaux, Félix Tshisekedi vient de briser un tabou ».
Dans la nuit de mardi et toute la journée du mercredi 29 janvier, le personnel non essentiel des ambassades des États-Unis et de Grande-Bretagne a traversé le fleuve pour trouver refuge au Congo-Brazzaville. Des images hallucinantes ont rapidement émergé sur la toile, montrant des centaines de jeunes envahir l’ambassade d’Ouganda, tandis que celle du Rwanda était complètement mise à sac. L’immeuble abritant les bureaux de la chancellerie rwandaise et ses propriétaires indiens ainsi que les bureaux de l’opposant Delly Sesanga a également subi des raids violents, devenant des victimes collatérales de cette véritable razzia. Un expert belge, analysant la situation, a dénoncé l’incompétence de Félix Tshisekedi : « Au lieu de jouer la carte du martyr et attirer la sympathie des Occidentaux, Tshisekedi s’est totalement isolé ». L’expert a ajouté avec ironie : « En fin de compte, le président Kagame doit applaudir la bêtise de Tshisekedi, car les violences à Kinshasa détournent l’attention de son projet de prendre le contrôle de la RDCongo ».
Cette énième bévue du Chef de l’Etat congolais se transforme en faute politique avec les déclarations pour le moins farfelues de la Vice-Ministre de l’Intérieur, Mme Tshela Compton. Lors de sa visite sur les sites saccagés, elle a osé affirmer que les incendies et les pillages étaient le fait des « infiltrés rwandais parmi les manifestants pacifiques de l’UDPS». Une formule qui a suscité railleries et moqueries. « Cette ancienne ambassadrice de la République Démocratique du Congo au Royaume-Uni aurait mieux fait de se taire. À l’oscar de la bêtise, elle est parmi les nominés », a fustigé un diplomate africain. Pour tous les observateurs, il est maintenant clair que ce sont les membres de la milice du parti présidentiel, les Forces du Progrès, qui ont orchestré ces attaques contre les chancelleries, agissant sur ordre de leur hiérarchie. Pour preuve, quelques heures avant les pillages, à New York, lors d'une réunion cruciale du Conseil de sécurité consacrée à la crise de Goma, la ministre des Affaires étrangères de la RDCongo avait lancé un avertissement solennel aux membres du Conseil. Elle avait souligné que l'incapacité de la communauté internationale à sanctionner l'agression rwandaise ne pouvait qu'entraîner des conséquences sur le terrain. Elle annonçait que le message des Congolais viendrait de la rue. Entre prémonition et préméditation, le crime était signé. « La politique de la terre brûlée n’annonce jamais rien de bon », affirme un professeur de l’UNIKIN, rappelant que le pillage a jadis conduit à la ruine du pays et à la chute du maréchal Mobutu. Félix Tshisekedi suit les traces de cet illustre prédécesseur. Son obstination à modifier la Constitution tout en refusant de discuter avec une opposition armée, qui vient de mettre les FARDC en déroute, frôle le suicide politique. Heures après heures, la débâcle militaire à Goma se transforme en véritable crise pour le régime de Kinshasa, qui est désormais incapable de reconstituer une armée face au M23.
Coup d’État prévisible ?
Pour de nombreux Congolais, la domination des Kasaïens sur la RDCongo est en passe de toucher à sa fin. Au mieux, Tshisekedi et ses proches seront contraints de s’asseoir à la table des négociations pour partager le pouvoir avec le M23 et une opposition revitalisée, consolidée par l’alliance entre l’ancien président Kabila et l’ancien gouverneur Katumbi. Au pire, ils devront fuir face à la rébellion. Mais peut-être qu’un coup d'État militaire viendra forcer tous les protagonistes de la crise congolaise à se mettre d'accord. Parmi les scénarios, l’apparition d’un troisième larron inattendu est prévisible. Dans les couloirs de l'État-major et de la maison militaire du Chef de l'État, l’exaspération atteint des sommets. De là à ce que les officiers supérieurs congolais déchirés entre les Katangais et les Kasaïens parviennent à un consensus, les analystes restent encore prudents. En RDCongo, la situation est explosive, et l'heure des choix approche
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