
Parti, pas parti ? La question sur la présence de Félix Tshisekedi à Kinshasa secoue les salons de la capitale congolaise. En effet, à 3h21 du matin à l’aéroport de N’djili, enveloppé dans l’obscurité, les deux avions présidentiels ont décollé dans un silence chargé de mystère. Le Chef de l'État congolais se lance dans une ultime entreprise. Plus tôt dans la journée, le fils du sphinx a partagé ses préoccupations avec sa mère, Marthe, lui révélant qu'il voulait partir pour une mission de dernière chance. « Si je réussis, nous n’aurons besoin de personne et nous serons sauvés », lui a-t-il confié. En réalité, la famille et ses proches baignent dans l'angoisse. La chute de Goma et l’avancée fulgurante du M23 vers l’aéroport de Bukavu ont provoqué la panique. À la faveur de la libération de l’expert belge d’origine congolaise, Jean-Jacques Wondo, une partie de la famille en a profité pour prendre le chemin de l’exil vers Bruxelles, emportant bijoux et liquidités.
Les Tchadiens à la rescousse
Ce qui frappe dans les préparatifs de ce voyage secret, à l'approche d'un sommet crucial à Dar Es Salaam prévu ce samedi 8 février, où il est attendu par ses homologues de la SADC et de l’EAC pour discuter en priorité de la crise en République Démocratique du Congo, c’est sa destination. Félix Tshisekedi est déterminé à se rendre à Doha, au Qatar. Dans les coulisses de la présidence, les rumeurs vont bon train. Le Chef de l'État a négocié et obtenu du maréchal Mahamat Idriss Deby le renfort de troupes tchadiennes. « Les Tchadiens sont prêts à intervenir, mais ils exigent d'abord des paiements en cash », affirme-t-on dans le cercle intime. Les confidences fusent encore. « Nos amis qataris sont disposés à financer cette opération, mais ils veulent des garanties concernant les contreparties ; la dernière fois, ils ont été dupés par la mine de Nangaa », murmure un conseiller du Chef de l’Etat. Les experts militaires sont sceptiques sur cet ultime espoir du clan présidentiel congolais. Un officier considère que si les Tchadiens sont aguerris pour les guerres du désert, « dans les collines, les forêts, les lacs et les rivières, ils seront complètement perdus. Bemba qui les a battus avec les Ougandais le sait très bien. Ils ne feront rien de bon chez nous», affirme-t-il.
Le réseau de Kao
C’est donc à partir de Doha que le président congolais voulait initialement paraître par vidéo-conférence, au grand dam de ses pairs Chefs d'Etat qui eux ont fait le déplacement pour assister au sommet de Dar Es Salaam. Dans cette course contre la montre pour arrêter l’avancée de la rébellion AFC/M23, le conseiller privé Kahumbu Mandungu, alias Kao, déploie tous ses contacts dans le golfe arabique pour les convaincre de délier les cordons de la bourse. Régulièrement accusé d’abuser de sa position pour s’enrichir éhontément à travers les contrats d’achat d’armes, Kao dispose d’un important network dans la péninsule du golfe. Lui aussi joue sa dernière carte, car il sait le sort qui attend désormais ceux qui trompent le Chef de l’Etat.
La chasse aux étoilés
Parmi les proches pris dans la tempête de la colère présidentielle, trois généraux sont tout particulièrement sous le feu des critiques, comme s'ils étaient les bouc-émissaires de l'incompétence ambiante. Il s'agit de Franck Ntumba, Chef de la Maison Militaire, de Tshiwewe, l’ancien Chef d’État-Major, et de Christian Ndaywel, l’ancien responsable des Renseignements militaires. Le premier, toujours en poste, est interrogé par les services de renseignement sur les sommes faramineuses détournées dans les contrats de recrutement des mercenaires franco-roumains. Sur les 2.000 mercenaires repris dans les listes de paie, les enquêteurs n'ont retrouvé des traces que de 500 contrats. Plus de 1.500 mercenaires fictifs se sont vu verser la coquette somme de 6.000 USD par mois. En résumé, cela s'élève à un détournement mensuel de 9 millions USD, le tout sur une période de 18 mois, soit un joli pactole de 160 millions USD envolés. Selon l’un des enquêteurs, le général Franck Ntumba a reconnu le détournement. Il a avoué qu’il n’a été qu’un simple intermédiaire entre les banquiers et la Première Dame, ainsi que le jeune frère du Chef de l’Etat, Jacques Tshisekedi, avec qui il aurait partagé le butin. Devant ces révélations accablantes, Félix Tshisekedi a choisi d’étouffer le scandale et ordonné que le général soit laissé dans sa résidence.
A tous les niveaux de la chaîne de commandement, le commandant suprême est trahi. L’ancien chef d’Etat major Tshiwewe est lui aussi en résidence surveillée. Quant à Christian Ndaywel, il est à la question au niveau du CNS. Les deux hommes sont accusés eux aussi de détournements de fonds. La guerre-business commence à faire des ravages dans le camp de officiers kasaiens proches du Chef de l’Etat. Certains vont probablement rejoindre à Ndolo leurs pairs katangais qui croupissent dans la prison militaire sans jamais avoir été jugés.
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