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Photo du rédacteurmutambak96

Disparition de Baba Kyungu : son dernier séjour fatal à Kinshasa



Ce samedi 21 août 2021, la disparition de Gabriel Kyungu sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel politique congolais. Chaque année, des cassandres annonçaient la mort de l’ancien gouverneur du Katanga. Ces annonces qui trahissaient dans le chef de ceux qui les propageaient plus souvent le désir de voir le vieux lion du Katanga laisser la place à une nouvelle génération que le regret de son départ vers l’au-delà, étaient démenties par la famille. Ce type de nouvelle relevant du noir désir de ses adversaires faisait sourire le leader des balubakats. Les démentis ne tardaient pas. A l’occasion, Baba Kyungu se faisait fort d’organiser un meeting de ses partisans au cours duquel il brocardait à l’envi ses ennemis politiques.


Et des ennemis, il faut avouer que l’ancien gouverneur du Katanga n’en manquait pas. Membre des 13 députés qui avaient au début des années 80 fonder l’UDPS, Gabriel Kyungu avait vécu la répression de l’ancien dictateur Mobutu avant d’abandonner la lutte et rallier le maréchal qui en fera un gouverneur du Shaba. Le fédéralisme chevillé au corps, le gouverneur va s’en prendre à la communauté kasaïenne vivant au Katanga. Il ordonnera l’expulsion sans ménagement de dizaines de milliers de Congolais originaires du Kasaï. Leur seul péché était d’occuper des postes de responsabilité réservés aux Katangais voire tout simplement de profiter d’une richesse qui devait revenir en premier lieu aux natifs du Katanga. Les trains d’expulsés renvoyés à Mbuji Mayi laisseront dans la mémoire collective l’image des convois de la Seconde Guerre mondiale qui emportaient des centaines de milliers de juifs vers les camps de la mort. En chemin, des milliers de Kasaïens périrent dans cet exode forcé. A ce jour, ils accusent toujours Gabriel Kyungu d’avoir perpétré un crime de masse demeuré impuni. Au cours des trente dernières années de sa vie, le lion du Katanga, comme aimaient à l’appeler ses partisans, n’aura de cesse d’effacer l’image désastreuse des familles kasaïennes jetées à la rue par des Katangais fanatisés.


Hormis la communauté kasaïenne, Gabriel Kyungu va souffler le chaud et le froid sur le régime de Laurent Kabila et de son fils Joseph. Bien qu’étant tous des Balubakat, Kyungu va rapidement se dissocier de la fratrie des Kabila. Ses discours deviennent autant de coups de soufflets infligés au pouvoir. Craint pour ses foucades, l’ancien homme fort du Katanga n’hésitait pas à se moquer publiquement voire recourir aux insultes contre ses adversaires. Dans les années 2000, Baba Kyungu prend les commandes de l’Assemblée provinciale du Katanga. Après avoir combattu ouvertement Moïse Katumbi, il se rallie au nouveau gouverneur de la province. Cette alliance va profiter à l’un et à l’autre. Elle donne carte blanche au nouveau patron du Katanga pour imposer les réformes indispensables au décollage de la province tout en renforçant l’assise politique et financière du président de l’Assemblée au Katanga. Son parti, l’UNAFEC devient la première formation politique du Katanga.



En 2015, à quelques mois de la fin du deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila, Gabriel Kyungu rallie son vieil ami Charles Mwando Nsimba et le gouverneur Moïse Katumbi dans une fronde au sein de la majorité présidentielle. Le Katanga se déchire. Le Président qui aspire à changer la constitution pour briguer un troisième mandat est contraint à jeter l'éponge. Face à une opposition katangaise trop forte et trop bien organisée, faute de base solide dans sa région d’origine, Kabila perd la partie. Il en conservera une inimitié féroce contre ses trois frères katangais. La disparition de Charles Mwando constitue un premier coup dur. L’éviction de Moïse Katumbi de la course à la présidentielle de 2018, un second. Joseph Kabila se venge. Seul Gabriel Kyungu reste sur le terrain. Il devient le directeur de campagne du candidat Martin Fayulu. La campagne est un triomphe. Malheureusement, elle se solde par un arrangement de dernière minute entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi qui prend les commandes du pays.


Le génie politique de Gabriel Kyungu réside dans le fait de n’avoir jamais eu de scrupules à faire des volte-face et à les assumer. Il profite du rassemblement de l’Opposition pour se réconcilier avec son ancien ami Etienne Tshisekedi. La réconciliation voulue et inspirée par Moïse Katumbi était un pari risqué. Mais la réussite est totale. Le pouvoir est à portée de main pour le leader maximo de l’opposition. Le sphinx en connaît le prix. Il lui faut l’adhésion des Katangais. Dans un geste historique, les deux fondateurs de l’UDPS se serrent la main. Kyungu wa Kumwanza dont la réputation sulfureuse de persécuteur du peuple kasaïen colle à la peau voit dans cette alliance une véritable rédemption politique. Si le passé et les morts sont pardonnés, ils ne sont toutefois pas oubliés. Les Kasaïens sauront s’en rappeler…



Dans ce chemin tortueux fait d’aller-retours incessants, en 2019, Gabriel Kyungu abandonne Martin Fayulu pour se rallier au nouveau président Félix Tshisekedi. A l’opposition sans lendemain de Lamuka aile dure, le leader des Balubakat choisit de privilégier la restauration de son image au sein de la communauté kasaïenne. Sent-il sa fin prochaine venir ? De toute évidence, Gabriel Kyungu ne veut pas partir avec les mains tachées du fardeau du génocide kasaïen. De son côté, le président Félix Tshisekedi rallume la fougue du vieux lion katangais en le nommant à la tête des chemins de fer congolais et en l’élevant comme l’homme-lige du pouvoir au Katanga. Désormais, le vieux patriarche katangais devient l’obligé du pouvoir kasaïen.



Ceint de ce pouvoir auquel il a toujours aspiré, Gabriel Kyungu perd à nouveau le sens de la mesure. Ses déclarations en faveur du pouvoir vont dans l’excès. Il décide d’en découdre avec tous les adversaires du président Tshisekedi, en leur promettant au passage le pire voire même la mort.


Mais les dettes de sang du passé restent des dettes dont Kyungu wa Kumwanza demeure, en dépit de tous ses efforts, le débiteur. Au sein du premier cercle du pouvoir les extrémistes Baluba du Kasaï occupent toutes les fonctions. Aucun d’eux n’a oublié les crimes imputés à Baba Kyungu. La réconciliation entre Etienne Tshisekedi et son vieil ami ne les engagent pas. Or, le vieux leader katangais a baissé la garde. La voie est libre pour lui faire payer les crimes du passé. Deux semaines avant son évacuation sanitaire dont il ne se relèvera pas, le président de l’Assemblée Provinciale du Katanga est invité à Kinshasa pour une consultation privée. Il est reçu par le Chef de l’Etat. Son sort est déjà scellé. De ses derniers échanges avec Félix Tshisekedi et son entourage rien ne filtre. Gabriel Kyungu rentre à Lubumbashi pour y rencontrer la mort. En quelques jours son état physique et sa santé se dégradent. Son évacuation est décidée. Elle tourne en véritable calvaire. L’avion est détourné. Le poison du virus fait son effet. L’avion est détourné. Atterrissage d’urgence à Luanda. Le vieux respire encore mais les heures lui sont comptées. Il rend l’âme sans avoir repris connaissance.


Les baobabs ne font que tomber dans le jardin présidentiel.

Les réactions ne se font pas attendre. A la nouvelle de la disparition de leur leader, les partisans de l’UNAFEC expriment leur colère. "Les Baluba nous ont tué notre leader !" lance dans un cri désespoir un cadre du parti. La tension est grande. La réconciliation entre les Katangais et les Kasaïens dont Gabriel Kyungu s’était fait le porte-étendard a vécu. Désormais c’est la méfiance. « "On ne doit jamais faire confiance à Félix Tshisekedi et aux Kasaïens, voyez ce qu’ils ont fait à Baba", affirme-t-on dans les couloirs du siège du parti. Alors que les jeunes de l’UNAFEC pleurent encore la disparition de Marcel, le fils aîné de Gabriel Kyungu, la disparition de ce dernier est un nouveau coup de massue. A Lubumbashi et à travers le Katanga, rien ne peut freiner la colère contre ceux qui ont planté leur couteau dans le dos du vieux lion.


Si les disparitions de Monique Kitoko, de l’oncle Monseigneur Gérard Mulumba, du bâtonnier Jean-Joseph Mukendi, des conseillers Jonas Shamone, César Kalala, Jean-Pierre Wetshi, Charles Kilosho, du garde du corps Josias Shamuana Mabenga, du conseiller Gilbert Mundela, du stratège Kitenge Yezu, du dircaba du Conseiller Spécial Me Gaston Kabwa Kabwe, du conseiller de l’ombre Tshimbombo Mukuna tiennent en partie de la pandémie COVID mais surtout de la guerre sans merci de positionnement qui règne au sein du sérail kasaïen, la disparition de l’allié du Katanga Baba Kyungu est quant à elle d’une toute autre nature. Elle consacre l’émergence du radicalisme kasaïen. A vouloir chercher auprès de ses ennemis naturels un pardon introuvable, Gabriel Kyungu n'a-t-il pas été le jouet des Baluba du Kasaï avant d’en devenir la victime expiatoire.

De toute évidence, les baobabs ne font que tomber dans le jardin présidentiel. Jour après jour, à l’approche des échéances de 2023, par la folie du pouvoir et le désir de vengeance, autour de Félix Tshisekedi, le désert gagne du terrain.

Bernard Mulumba

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