De Caïphe à Ponce Pilate en passant par les pharisiens, le chemin de croix de Moïse Katumbi dans la course à la validation de sa candidature est loin d’être terminée. Les flûtes de champagne de Laurent Périer Blanc de Blanc n’ont pas encore été vidée que le camp des Katumbiste est à nouveau sur le sentier de la guerre.
Après avoir annoncé urbi et orbi que la CENI accepterait toutes les candidatures en ordre, Denis Kadima a respecté sa parole donnée à toutes les chancelleries. Se sachant scruté et sous pression, le président de la CENI, jouant au Ponce Pilate, a décidé de refiler la patate chaude à la Cour Constitutionnelle qui doit examiner à son tour les dossiers des candidats.
Silence, on complote en tshiluba
Ce lâchage du Président de la CENI a irrité le camp présidentiel. Pris à la gorge par l’offensive menée récemment par le général John Numbi et par Corneille Nangaa, l’ancien président de la CENI, Félix Tshisekedi a réuni autour de lui son staff sécuritaire composé notamment de son ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, de son frère, Jacques Tshisekedi, en charge de la sécurité présidentielle, du ministre des Finances, Nicolas Kazadi, de la ministre de la Justice Rose Mutombo , du premier vice-président de l’Assemblée nationale l’inénarrable professeur André Mbata Mbangu et du président de la Cour Constitutionnelle Dieudonné Kamuleta Badibanga, un proche de Christian Tshisekedi, l’autre frère du Président. Tous sont originaires du cercle très fermé des Kasaïens qui dirigent la République. Et pour s’assurer qu’ils devaient tous très bien se comprendre, sans ambigüité aucune, la réunion s’est tenue en tshiluba, gage de confidentialité mais aussi symbole fort de fraternité tribale et de la communauté des intérêts.
Devant le renoncement de Denis Kadima, le traitement du dossier de Moïse Katumbi est désormais confié à la Cour Constitutionnelle. A ce stade, la Cour ne peut s’autosaisir. Elle attend les requêtes des candidats ou des partis ayant présenté des candidats à la présidentielle. Felix Tshisekedi aurait espéré que la Cour puisse trancher, même sans contentieux, uniquement dès la transmission de la liste provisoire de la Ceni, mais rien n’y fait. Même le docile Dieudonné Kamuleta, empêtré dans l’encombrante affaire de l’assassinat de Cherubin Okende, kidnappé au parking de sa juridiction, pour être venu répondre à son invitation pressante, a dû donner des leçons rapides de contentieux de candidature, en tshiluba, à un Felix Tshisekedi, très remonté de voir Katumbi sur la liste provisoire de la CENI. André Mbata, Peter Kazadi et Rose Mutombo venus à la rescousse l’ont momentanément rassuré. « Le président Tshisekedi n’entend pas du tout rendre le tablier, surtout pas à Katumbi », affirme un conseiller à la Cour constitutionnelle .
Si aucune requête n’est déposée, la Cour doit juste confirmer, par arrêt, dans les sept jours de son dépôt, la liste de la CENI. Si ce n’est pas le cas, elle doit examiner chaque requête introduite auprès d’elle avant de statuer.
L’ombre des sanctions et du dossier Okende
« Dieudonné Kamuleta ne pourra s’autoriser à faire le Ponce Pilate comme Kadima. Il sait que l’ombre des sanctions, non levées qui ont frappé l’un de ses anciens prédécesseurs Benoît Lwamba jusqu’à sa mort pour entraves au processus électoral et démocratique pèse lourdement sur lui », affirme avec sérénité un Conseiller du Chef de l’Etat congolais qui rappelle opportunément que le dossier brûlant des lourdes suspicions qui pèse sur le Président de la Cour Constitutionnelle sur son implication dans le kidnapping ayant abouti à l’assassinat de Cherubin Okende. « Il n’est donc pas dans une posture ethique et juridique enviable pour sa propre sécurité », conclut le conseiller.
Des sources concordantes, il apparaît que deux candidats ont été désignés pour adresser une requête à la Cour Constitutionnelle afin d’invalider la candidature de Moïse Katumbi au motif que l’ancien gouverneur du Katanga posséderait une nationalité concurrente à la nationalité congolaise. Les deux candidats chargés de cette besogne par le camp présidentiel sont le pasteur Théodore Ngoyi et Rex Kazadi. Les premier est un Katangais de service et l’autre, pour faire bonne mesure, en cas de défaillance du premier, un Kasaïen. « On n’est jamais mieux servi que par soi-même », persifle un conseiller à la présidence. « C’est une méthode qui a fait ses preuves dans ce régime », ajoute-t-il .
Bien entendu, le secret étant la chose la moins bien gardée en République démocratique du Congo, les conclusions de la réunion de sécurité présidée par Félix Tshisekedi ont fuité. Anticipant la réaction de la population à la mise à l’ecart du candidat numéro 3, le Chef de l’Etat a décidé de procéder à l’élévation en grade et à la nomination du général Kapend à la tête de la Région militaire de la zone du Haut Katanga. Par cette nomination, le Chef de l’Etat congolais cherche non seulement à contrer toute velléité de rébellion des hommes à la solde de John Numbi qui menace ouvertement le régime, mais également à encadrer les manifestations de mécontentement des partisans de Katumbi.
Le feu aux poudres
A la nouvelle de la disqualification de celui qui constitue le principal obstacle au deuxième mandat de F. Tshisekedi, tout le monde redoute un embrasement du Katanga et du pays .
Germain Tshiteya, cadre à la Gecamines, a vécu le pogrom du début des années 1990. En vacances à Kinshasa, il a eu vent des combines de dernières minutes des hommes de Tshisekedi, par le téléphone communautaire. Il ne décolère pas. «Je ne pense pas que Fatshi a le souci de sa communauté. Il sait très bien comment la tension monte contre nous, non seulement au Katanga mais même à Kinshasa et dans le Bandundu notamment. Comment peut-il croire un seul instant qu’il va juste se débarrasser de Katumbi par une décision d’une Cour dirigée par un Kasaïen dont l’allégeance au régime est reconnue par tous », dit-il. « Et après ? Vous aviez vu comment les gens étaient nerveux au Katanga quand on parlait dans les réseaux sociaux d’une possible mise à l’écart de Katumbi par la CENI ? Et maintenant, ils veulent l’écarter à la Cour Constitutionnelle, C’est vraiment nous sacrifier ! Les Kasaïens risquent de payer très cher et pour longtemps la colère des Katangais et des autres communautés, le pays va en pâtir, c’est irresponsable. C’est encore mieux de le laisser participer, quitte à jongler avec les résultats. Mais l’éliminer c’est grave ! », conclut ce cadre congolais.
Au sein de la communauté internationale, tous ceux chargés d’observer le processus électoral congolais sont en alerte. A Washington, Londres, Paris, Bruxelles et à New York, tout le monde s’inquiète de la tournure que prendra le processus chaotique à l’annonce de l’élimination arbitraire de Moïse Katumbi. A ce stade, le pays retient son souffle. L’euphorie des Katumbistes aura été de bien courte durée. Mais, à ce jour, aucune preuve de la double nationalité de Moïse Katumbi n’a jamais été étayée. Les accusations se sont heurtées aux réfutations les plus solides obtenues des autorités italiennes et zambiennes. A l’époque, Me Dupont-Moretti, devenu entre-temps le ministre de la Justice et Garde des Sceaux dans le gouvernement français,, avait rendu publiques les courriers du procureur général de Milan et du maire du village censé avoir enregistré Moïse Katumbi dans les listes de ses administrés. Quant aux autorités zambiennes, elles ont, elles aussi, réfuté les allégations tendant à donner à l’ancien gouveneur du Katanga la nationalité zambienne. La partie est donc très loin d’être gagnée pour le camp Tshisekedi.
Invalider Katumbi au niveau de la cour constitutionnelle serait une grosse erreur que le pouvoir en place ferait et risquerait trop cher au processus en cours !