“Le Président Tshisekedi parle d’une main noire qui se cache derrière les massacres dans le pays, nous la connaissons tous et il est temps de cesser l’hypocrisie ", clame Damien Paluku, un des activistes de la société civile dans le Nord Kivu. Depuis que le président Tshisekedi a décrété l’état de siège dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri, les populations des deux provinces vivent de plus en plus difficilement la présence des officiers supérieurs des FARDC à la tête de leurs provinces.
En dépit du discours de Félix Tshisekedi à la tribune des Nations-Unies, l’échec de l’état de siège est désormais avéré. Les chiffres sont alarmants. Depuis mai 2021, le niveau de violence a augmenté au Nord-Kivu et en Ituri. Selon les chiffres du baromètre de sécurité du Kivu (KST), il y a deux fois plus de morts depuis l'instauration de cette mesure dans l'Est de la RDC. En quinze mois de pouvoir aux mains des militaires, les massacres n’ont pas diminué. Les ADF continuent à semer la mort et la désolation et la présence du M23 à Bunagana achève d’enlever tout crédit à l’administration militaire. Les récentes villes mortes initiées par la société civile à Goma et à Bukavu afin d’exercer une pression sur le M23 et accélérer le retrait de la MONUSCO sont également justifiées par la volonté unanime de la population de voir Félix Tshisekedi mettre fin à l’état de siège.
Bemba veut régler ses comptes
Des messages de plus en plus précis sur l’implication des officiers de l’ex-MLC de Jean-Pierre Bemba dans l’enlisement de la situation en Ituri et au Nord Kivu sont entendus au sein de la population. "Nous savons pourquoi on a imposé des anciens rebelles à la tête des provinces. Ils veulent continuer à nous exploiter comme ils le faisaient du temps de la rébellion", affirme un étudiant de l’Université de Butembo qui poursuit "D’ailleurs, Jean-Pierre Bemba qui est l’allié de Félix Tshisekedi ne s’en cache pas. Il a dit lors de sa tournée chez lui en Equateur qu’il voulait régler les comptes aux swahilophones qui voulaient autrefois transformer sa province en champs de café".
A Beni, Butembo et dans l’Ituri, le souvenir des exactions commises par les hommes de Constant Ndima, le gouverneur militaire du Nord Kivu du temps de la rébellion est encore bien présent dans tous les esprits. Pour rappel, le lieutenant-général Ndima était le commandant de la troupe lors de la terrible opération "Effacez le tableau" réalisée en 2002 à Mambasa en Ituri au cours de laquelle des actes d’une barbarie extrême avait été perpétrés par les hommes de Jean-Pierre Bemba. A l’époque, la mission des Nations Unies en RDC avait diligenté une enquête et recueilli plus de 500 témoignages à Mangina, Oïcha, Butembo, Erengeti, Beni, Mandima et à Mambasa.
Le 10 mai 2021, la nomination par Félix Tshisekedi du général Constant Ndima à la tête de la province avait déjà suscité une polémique tant les massacres et les viols des Nande perpétrés par les hommes de Bemba placés sous le commandement du général Ndima étaient encore bien présents dans toutes les mémoires. L’absence de réaction du gouvernement à ces critiques avait étonné tous les observateurs. Les toute récentes déclarations de Jean-Pierre Bemba contre les populations de l’Ituri et l’arrestation du général katangais Philémon Yav ont achevé de convaincre les populations de l’existence d’un complot contre l’Est du pays ourdi à partir de Kinshasa. Lors des grandes rébellions des années 90, le général Yav avait combattu le RCD et le MLC. Pour la population, sa mise en détention sous le prétexte de tentative de coup d’Etat est une mise en scène orchestrée par les officiers des ex-MLC et ex-RCD pour écarter un ancien adversaire qui pouvait s’opposer au plan de mise en coupe réglée de l’Ituri et du Nord Kivu interrompu par la fin de la première guerre et l’accord de paix de Sun City.
Retour 25 ans en arrière
Le sentiment d’un retour à la case départ de fin des années 90 est d’autant plus grand dans l’esprit de ceux qui ont vécu la première guerre mondiale en RDC que du côté du Nord-Kivu, le gouverneur militaire nommé, est le général Luboya Nkashama. Proche du Rwanda, Johnny Luboya a été lui aussi un rebelle. Il officiait au sein du RCD Goma et avait un temps administré cette province. Le général Luboya Nkashama est, comme prévu, secondé par un officier de police. Le commissaire divisionnaire Benjamin Alonga Boni est un ancien du MLC, il était l’adjoint du général Numbi pendant l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, il avait témoigné au procès comme simple renseignant, c’est l’un des derniers officiers à avoir quitté l’inspection générale de la police le jour de l’assassinat. En 2011, il avait dit à la cour avoir vu en partant des policiers cagoulés du bataillon Simba, l’unité accusée d’avoir commis ce double assassinat, explique un avocat des parties civiles. Cela lui avait valu des ennuis avec le général Numbi, renchérit l’un des policiers qui a témoigné sur RFI.
Perturber les prochaines élections
"Les gouverneurs du Nord-Kivu et de l'Ituri, les généraux Luboya Nkashama et Constant Ndima, se seraient rendus coupables d’exactions par leur position de commandement", affirment les responsables de la société civile. En 2021, Thomas Fessy, chercheur à Human Rights Watch avait déclaré que "De son côté, le lieutenant-général Luboya, ancien chef des renseignements militaires de la rébellion RCD Goma, pourrait être responsable de par son poste de commandement de meurtres, viols et autres exactions commises par ces forces".
La recomposition du paysage politique autour de l’alliance entre Félix Tshisekedi et Jean-Pierre Bemba explique en partie le maintien des hommes du MLC à la tête des provinces sous état de siège. "Félix Tshisekedi ne veut pas mettre fin à l’état de siège et à la situation de chaos car il y trouve son compte. Avec Jean-Pierre Bemba, il s’est arrangé pour que nous ne puissions pas participer aux prochaines élections", dit un jeune activiste de la Lucha qui appelle la population à une surveillance vigilante du processus électorale. Le jeune homme en colère poursuit : "Nous en avons marre d’être les jouets de ces gens qui veulent conserver le pouvoir. Nous voulons qu’ils rendent des comptes".
Le maintien des généraux du MLC et du RCD à la tête de l’Ituri et du Nord Kivu risque de produire un violent effet de boomerang contre Félix Tshisekedi et ses alliés. L’état de siège n’est désormais plus qu’une opération des anciennes rébellions et permet à leurs chefs de conserver en leur main les provinces qu’ils avaient à l’époque acquises par les armes. Reste à savoir jusqu’où conduiront les éclairs de lucidité qui traversent aujourd’hui le ciel des provinces sous occupation militaire et les populations qui vivent de plus en plus mal le diktat de Kinshasa.
Mutamba Kalondji
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