
Avec la chute de Goma et l'avancée du M23 vers Bukavu, tout a changé. Bien que les réseaux sociaux X et TikTok aient été fermés pour éviter une panique généralisée alimentée par des rumeurs, la RDC entre dans une nouvelle séquence politique, marquée par l'effondrement du pouvoir de Kinshasa. Un mois auparavant, Tshisekedi se vantait de vouloir accélérer l'élaboration d'une nouvelle constitution pour envisager un troisième mandat, menaçait le Rwanda d'invasion, condamnait à la peine de mort un expert belge et moquait l'opposition. Aujourd'hui, la réalité est tout autre.
Aujourd'hui, Félix Tshisekedi fait face à la douloureuse défaite de son armée et à la perte de la logistique qu’il avait accumulée à Goma pour une offensive contre le Rwanda. En quelques heures, la situation a radicalement changé, et Kinshasa est en quête d'une issue. La prise de Goma par l'armée du M23 soutenue par le Rwanda est terrifiante. Plus de 2000 morts selon les Nations Unies.
A Kinshasa, la panique s'est emparée du pouvoir. Après avoir envoyé sa milice saccager les ambassades d'Ouganda et du Rwanda, et incendier les portiques des ambassades de France, de Belgique et des Etats-Unis, Félix Tshisekedi s'est isolé de la communauté internationale. Plusieurs chancelleries ont conseillé à leurs ressortissants de quitter la RDCongo. La libération soudaine de Jean-Jacques Wondo, l'expert belge condamné à mort en appel par la Cour d'Ordre Militaire, n'a fait que confirmé le caractère versatile, imprévisisible et pusillanime du maître du Congo.
Au sein de la présidence congolaise, un vif débat se tient sur l'orientation à prendre après Goma. Les proches de Tshisekedi sont divisés entre l'ouverture d'un dialogue avec l'opposition et la poursuite de la guerre. Si le président semble pencher vers une continuation du conflit contre le M23, soutenu par le Burundi et l'Afrique du Sud, il doit toutefois gagner du temps pour reconstituer ses forces militaires.
Un dialogue pour gagner du temps
Dans ce contexte, les Evêques catholiques de la CENCO et protestants de l'ECC ont obtenu une audience auprès de Félix Tshisekedi au cours de laquelle ils ont présenté un plan de paix visant à restaurer la cohésion nationale et la paix sociale. Habitué aux manœuvres et aux compromis, selon les indiscrétions du palais, le Chef de l'Etat congolais considère que l'offre des Églises d'organiser une consultation avec toutes les parties prenantes du conflit est opportune. Cela pourrait permettre de gagner du temps et remettre à flot son armée minée par des suspicions internes entre les officiers originaires du Kasaï et ceux issus du clan swahiliphone.
Dans ce contexte tendu, les alliés politiques de Tshisekedi semblent jouer chacun leur propre carte. Au moment où Vital Kamerhe envoie des signaux discrets à Corneille Nangaa et au M23, exprimant sa disponibilité à collaborer en cas de chute de Bukavu, il tente d'aligner l'Assemblée nationale sur la démarche des évêques pour initier un grand dialogue national. Avec l'accord de Félix Tshisekedi, qui n'est pas dupe de la duplicité du speaker de la Chambre, l'Assemblée nationale se réunit en session extraordinaire pour examiner la situation et proposer des stratégies.
Au sein du gouvernement, Jean-Pierre Bemba a repris son vieux costume de chef de guerre. Sa tournée dans le grand Equateur et à Kisangani a levé tout doute sur la position guerrière assumée du président du MLC. « JP Bemba fait vibrer les cordes du nationalisme en frappant sur le tambour anti-tutsi», observe un diplomate inquiet de voir l'ancien chef du MLC tenter de constituer sa propre milice. « Le dialogue politique ? Très peu pour lui. Il sait que, dans ce pays, seul le rapport de force a de l’importance », confie un proche, le ton résigné.
A Kisangani, à renfort de milliers de dollars du ministre des Finances pour acheter le soutien de la foule, Bemba a demandé à la jeunesse venue l'écouter de s'enrôler massivement dans l'armée. Mais la population pourrait ne pas être aussi naïve qu'il l'espère. « Ici, on déteste Bemba. C’est un des artisans de la guerre des six jours qui a coûté la vie à des centaines de jeunes. S’il veut constituer son armée, qu’il ressuscite ces heures sombres ! », lance un Boyomais qui a perdu son frère dans les affrontements.
Quelle légitimité pour ce régime ?
Au sein de l’opposition les violons ne s'accordent pas. Si Martin Fayulu considère que la cohésion nationale autour de Félix Tshisekedi est, malgré la légitimité contestable du régime congolais, le début de la solution, Moïse Katumbi et Joseph Kabila réclament désormais le départ de Félix Tshisekedi. Selon Kamitatu, bras droit de Moïse Katumbi, « Si Tshisekedi persiste dans sa logique de guerre. En refusant toute négociation avec les oppositions, qu'elles soient armées ou pacifiques, il détruit toute possibilité de trouver une issue constructive à la crise. Il ne fait plus partie de la solution et devient le problème lui-même ». D'autres figures de l'opposition, comme Franck Diongo et JC Mvuemba, partagent ce sentiment.
Tshisekedi artisan d’une guerre longue
Les analystes redoutent plusieurs scénarios préoccupants pour la RDC. Félix Tshisekedi a peu de chances de récupérer son armée et les territoires occupés par le M23, ce qui l'oblige à engager un dialogue pour envisager une sortie négociée. Son insistance à poursuivre le conflit pourrait entraîner l'émergence de groupes armés incontrôlés ou une partition prolongée du pays, avec des acteurs politiques maîtrisant certaines provinces. De plus, un coup d'État militaire est à craindre ; sans chef militaire incontesté, une guerre des généraux pourrait survenir, rappelant la tragédie du Soudan.
A l'Est, le cessez-le-feu unilatéral du M23 aux portes de Bukavu, le sommet des chefs d'État de l'EAC et de la SADC, ainsi que les réunions entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, témoignent de la volonté de trouver une solution à la crise en République démocratique du Congo (RDC). Un diplomate résume la situation : « Ça passe ou ça casse ». Félix Tshisekedi, ayant perdu le contrôle de son armée, n'a d'autre option que de recourir à la diplomatie pour préserver son pouvoir.
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