Chaque jour de la campagne électorale congolaise apporte son lot de surprise. La première semaine a vu deux candidats se démarquer de tous les autres. Il s'agit du président sortant, Félix Tshisekedi, candidat à sa succession et de son principal adversaire, Moïse Katumbi, l'ancien gouverneur du Katanga.
Le premier dispose du soutien d'une famille politique rassemblant de nombreux leaders regroupés au sein d'une plate-forme bigarrée. L'armée mexicaine que constitue l'Union sacrée rassemble en réalité plus de généraux que d'hommes de troupe. Elle a pourtant fière allure. Les affiches géantes du candidat Félix Tshisekedi pavoisent toutes les avenues de capitale, les carrefours et les lieux publics. Idem dans toutes les provinces du Congo. Mais les premiers meetings ont exposé Félix Tshisekedi au péché originel de cette famille politique plus prompte à se partager l'argent et les ressources du Trésor public congolais allouées aux frais de campagne que de se battre pour des convictions.
Grognes populaires
Des milliers de Congolais se déplacent pour demander des comptes au président sortant. Ils n'hésitent pas à l'invectiver et à exiger le remboursement de la taxe illégale perçue sur leurs appareils de téléphonie cellulaire.
Face à l'Union sacrée, une nouvelle coalition s'est créée autour de Moïse Katumbi, l'homme fort du Katanga. Elle regroupe l'ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo, le jeune leader du Maniema Set Kikuni, le candidat lumumbiste de Kinshasa, Franck Diongo et l'ancien président de l'Assemblée Provinciale du Kongo Central, Jean-Claude Vuemba. Dénommée "Congo ya Makasi" (un Congo fort), ce regroupement dispose d'un ancrage puissant dans tout l'Est du pays. Des discussions seraient en cours entre Moïse Katumbi et d'autres leaders de l'opposition afin d'élargir la base de ce regroupement dont les premiers meetings ont été marqués par des rassemblements populaires gigantesques. De quoi ébranler les certitudes du président Félix Tshisekedi et de ses alliés.
Les bouées de la Cour constitutionnelle
Un troisième pôle se détache. Il est représenté par Martin Fayulu, le docteur Mukwege, le prix Nobel de la Paix, le pasteur Théodore Ngoy , Mme Ifoku et le jeune Floribert Anzuluni. Disposant de ressources financières limitées, ce groupe fait plutôt figure d'arche de Noé dont l'objectif semble d'éviter le naufrage.
La rumeur populaire fait état des passerelles existant entre plusieurs leaders de ce troisième groupe et le Président Félix Tshisekedi. Ce dernier aurait financé la caution et la campagne de plusieurs opposants. A une élection à un seul tour, le président sortant a cédé à la tentation de favoriser la dispersion des suffrages entre de nombreux candidats. Cette stratégie lui permet non seulement de rendre opposable une victoire à l'arraché mais surtout de crédibiliser la Cour Constitutionnelle contestée par l'opposition et une partie de la société civile. Composée de dix hauts magistrats dont 7 sont originaires de la province du Président Tshisekedi, la Cour est devenue l'instrument du pouvoir.
L'allégeance du président de la haute juridiction, Dieudonné Kamulete, à Félix Tshisekedi et à sa famille est de notoriété publique. Preuve en est l'acharnement exercé par la Cour Constitutionnelle contre l'ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo ou encore le tragique épisode de l'assassinat de Chérubin Okende, le porte-parole du parti de Katumbi, kidnappé sur le parking de la Cour Constitutionnelle.
La stratégie de crédibilisation de la Cour par l'opposition commenc à porter ses fruits. Contre toute attente, Martin Fayulu, Denis Mukwege, Theodore Ngoy et quelques candidats ont porté plainte contre la CENI auprès de la Cour Constitutionnelle. Cette démarche prêterait à sourire s'il n'y avait pas derrière cette volonté de donner sens aux arrêts de l'institution.
Les voitures de la trahison
"On vient d'acheter neuf prado XTL toutes neuves pour les magistrats de la Cour Constitutionnelle. Comment croire dans l'indépendance de cette institution. Elle est totalement à la solde de Félix Tshisekedi", dit un jeune avocat proche d'un des juges. Les magistrats de la Cour ont définitivement perdu toute forme d'indépendance et d'impartialité dans la bataille électorale.
"Dans les prochaines heures, le Pasteur Théodore Ngoy et ses amis vont à nouveau entreprendre une démarche en direction de la Cour" affirme-t-on dans l'entourage de Martin Fayulu. "Une requête en suspension du processus électoral va être déposée", poursuit notre interlocuteur. La CENI a accumulé trop de retards dans l'importation du matériel et son dispatching. Les urnes, les isoloirs, les machines à voter et leurs accessoires ne sauront être disponibles dans les 75.000 bureaux de vote en deux semaines. Sans compter les procès-verbaux et les imprimés qui sont toujours en cours de fabrication en Chine. Reste également le déploiement des magistrats qui doivent juger du contentieux électoral. De nombreuses cours d'appels de la République ne peuvent siéger faute de personnels.
Les coups se perdent à la présidence
Au sein du pouvoir, les coups se perdent. Le ministre des Finances exige un audit de la gestion de la CENI. "Denis Kadima a géré seul plus d'un milliard de dollars, et maintenant il veut nous faire porter le chapeau car il est incapable d'organiser les élections dans les délais", fulmine un conseiller de Nicolas Kazadi. Dans les couloirs de la présidence, on jure "d'avoir la peau" du président de la CENI à qui incombe le fiasco.
Devant le refus de Denis Kadima de porter seul la responsabilité d'un report des élections et celui du gouvernement de Félix Tshisekedi d'en assumer sa part, les deux parties liées par cet échec ont décidé de recourir à une astuce peu glorieuse, celle de se défausser sur l'opposition. La manoeuvre est habile mais elle expose ouvertement les accointances d'une partie des chefs de file de l'opposition au pouvoir.
L’heure de Joseph Kabila
L'annonce du report des élections pourrait donc être imminente. Des spécialistes affirment que la Cour a le pouvoir de prendre une décision de report n'excédant pas un délai de 120 jours. Cette interprétation de la Constitution semble très peu convaincante. Faute d'organiser les élections dans les délais constitutionnels d'un mandat de 5 ans, Félix Tshisekedi se verra immédiatement confronté à ceux qui ont mis en doute sa capacité et celle de Denis Kadima à organiser les élections crédibles et transparentes au 20 décembre 2023. Parmi les tout premiers à demander des comptes se trouve Joseph Kabila et sa famille politique qui considèrent que le processus électoral n'a pas commencé exigent une remise à plat totale du cycle. A commencer par l'enrôlement et le fichier électoral. Martin Fayulu pourrait profiter lui aussi de cette séquence pour se dégager de l'emprise de Félix Tshisekedi. La suspension du processus électoral brise la dynamique de Moïse Katumbi. L'ancien gouverneur exigera le départ immédiat de Denis Kadima et du bureau de la CENI, la recomposition de la Cour Constitutionnelle et le partage des postes de responsabilités au sein du gouvernement chargé de finaliser le processus électoral.
Reste à savoir ce qu'il adviendra du mandat de Félix Tshisekedi qui prend fin le 23 janvier 2024. A Pretoria, lors de discussion visant à chercher une improbable candidature unique de l'opposition, les délégués des principaux leaders ont affirmé qu'ils s'accordaient au respect strict des dispositions de la Constitution. "La constitution est claire. Elle accorde cinq années au Président et pas un jour de plus. S'il n'est pas en capacité d'organiser les élections et de remettre les clés à son successeur, il se retrouvera en incapacité de gouverner. La Constitution a prévu ce cas de figure. Le Président du Sénat assumera la charge pour 90 jours" affirme-t-on parmi les délégués de Pretoria.
Il semble donc de moins en moins probable que Félix Tshisekedi échappe à la tenue d'un dialogue politique pour cette période délicate de transition. Le vocable d'un report "technique" et l'arrêt d'une Cour Constitutionnelle contestée ne suffiront pas à donner au Chef de l'Etat congolais la base de légitimité minimale pour faire face aux rébellions à l'Est et aux tensions politiques de plus en plus grandes dans le pays. A contrario, des élections bâclées et des résultats fabriqués seront eux aussi les détonateurs d'une crise politique aux conséquences incalculables.
Entre le marteau et l'enclume, Félix Tshisekedi risque de se retrouver la sellette sans qu'il puisse compter sur le moindre allié. Il ne peut compter sur un dialogue politique sous l'égide de l'Eglise catholique ou d'un médiateur international.
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