Depuis plusieurs mois, la question de la Congolité agite la scène politique. Le débat a gagné la rue. En instaurant plusieurs catégories parmi les Congolais d'origine, la proposition de loi sur la nationalité déposée au Parlement remet en question les droits inscrits dans la Constitution. Qualifiée de ségrégationniste voire de raciste, cette proposition conduit à un embrasement général du pays. Elle s'appuie sur une argumentation teintée d'un populisme qui fleure les thèses raciales qui ont conduit aux guerres, aux camps de concentration et aux pogroms.
Selon les défenseurs de la Congolité, il faudrait être né de père et de mère congolais pour accéder aux plus hautes charges de l'Etat. Ils argumentent leur proposition de verrouillage en affirmant que tout Congolais issu d'un couple mixte serait, en cas de conflit, porté à être déchiré entre les intérêts de son pays et ceux de son parent étranger.
Pour couper court à cette dérive, le Chef de l'Etat, le Président Félix Tshisekedi, dont le grand-père maternel a immigré d'Angola à l'époque coloniale, a timidement affirmé que depuis l'indépendance de la RDCongo ce sont des Congolais nés de père et de mère qui ont amené le pays là où il est aujourd'hui. A savoir, parmi les derniers au monde au rang de l'indice du développement humain. Toutefois, malgré la position du Chef de l'Etat, son parti, l'UDPS garde étrangement silence. Les conseillers du Président Tshisekedi évoquent le principe de séparation des pouvoirs pour laisser la polémique enfler dans les réseaux sociaux et dans la rue.
Il ne faut pourtant pas remonter bien loin dans l'histoire de la RDCongo pour se rendre compte que les arguments de loyauté et d'amour de la patrie manquent de pertinence. Au cours des 25 dernières années, ce sont bien des Congolais nés de père et de mère qui ont pris les armes contre le pouvoir établi et les institutions de leur pays. Ils l'ont fait en complicité avec des puissances étrangères.
En assurant que derrière tout Congolais issu d'un métissage se cache un traître en puissance, ceux qui véhiculent les thèses racistes de la Congolité oublient le passé. En réalité, ils poursuivent un seul objectif. Celui d'exclure Moïse Katumbi Chapwe de la course présidentielle à laquelle le Président Félix Tshisekedi a décidé de prendre part en annonçant sa candidature pour les prochaines élections.
Laurent Désiré Kabila, Kisase Ngandu et le commandant Anselme Masasu qui ont conduit la rébellion de l'AFDL, Emile Ilunga et Adolphe Onusomba qui ont dirigé la rébellion du RCD-Goma, le professeur Wamba dia Wamba et Mbusa Nyamwisi celle du RCDK-ML, Roger Lumbala celle du RCD-N, les officiers Faustin Munene et John Tshibangu n'étaient-ils pas tous de père et de mère Congolais ? N'avaient-ils pas pour la plupart embrassé la cause des puissances qui hier encore étaient les ennemies de la patrie ou trouvé asile chez nos voisins ? Quant à leurs lieutenants, qu'ils s'appellent Vincent de Paul Lunda Bululu, Lambert Mende, Alexis Thambwe, Médard Mulangala, Joseph Mudumbi, Eugène Serufuli, Fortunat Biselele, Thomas Luhaka, Delly Sesanga, Roger Nimy, Valentin Senga, François Muamba n'étaient-ils pas tous également nés eux aussi de père et de père Congolais, issus du Kivu, du Bas-Congo, du Kasaï et d'ailleurs ?
Rares ont été les Congolais issus du métissage associés à la prise d'armes ou aux actions ciblées contre le pouvoir de Kinshasa. On les compte sur les doigts d'une seule main. Qu'il s'agisse de Jean-Pierre Bemba, Olivier Kamitatu, José Endundo, Raphael Katebe Katoto, leur nombre est infiniment dérisoire par rapport à ceux dont on veut nous faire croire aujourd'hui que leur ascendance prémunit la Nation congolaise de toute forme de déloyauté à son endroit.
Quant aux compatriotes issus de l'ethnie Tutsi dont la nationalité congolaise a été reconnue dans l'Accord de Cessez-le-feu de Lusaka, à savoir les Ruberwa, Nyarugabo, Rwakabuba et autres, ils sont des Congolais d'origine à part entière. Au terme de la loi, leurs ancêtres habitaient le Congo en 1960. Remettre en question leurs droits inscrits dans la Constitution équivaut à faire l'impasse sur une des pages les plus douloureuses de notre histoire et en réveiller les brûlures.
Restent ceux qui n'ont jamais pris les armes et sont demeurés loyaux à la RDCongo. Parmi eux se trouve Moïse Katumbi dont on dit qu'il est la cible principale de ceux qui veulent imposer une catégorie de Congolais de seconde zone.
En réalité, qu'on soit né de père et de mère congolais ou que l'on ait un parent étranger, la nationalité congolaise d'origine ne doit plus faire l'objet de calculs politiques. Etablir une catégorie de Congolais de seconde zone constitue une remise en question des fondements de la Nation congolaise. On sait où ce type de discrimination commence et l'histoire récente nous indique où cela finit. Dans un pays qui partage sa frontière avec neuf voisins, les enfants des communautés frontalières risquent tôt ou tard de se voir nier le droit d'accéder aux charges de l'Etat ou de leur province au prétexte que leur origine est douteuse.
Si la loyauté à la Nation et à ses valeurs devait être liée à la parenté, Barak Obama aurait-il jamais été le Président de la plus grande nation du monde, les Etats-Unis ? Jerry Rawlings aurait-il jamais porté le Ghana à devenir une démocratie exemplaire au coeur de l'Afrique ? Seretse Lan Khama aurait-il jamais fait de l'économie du Botswana un modèle de transparence dans l'exploitation de ses richesses minières ?
Engager la révision de la loi sur la nationalité et de la Constitution dans le seul et unique objectif d'écarter un candidat de l'élection présidentielle, c'est bien là où se situe la trahison. Des millions de Congolais de la Diaspora aspirent à obtenir le droit de disposer d'un passeport congolais. Intégrer le principe d'irrévocabilité de la nationalité congolaise comme un appât afin d'obtenir l'adhésion de l'opinion publique pour l'adoption d'une loi raciste et discriminatoire relève de la malice.
Les adeptes de la Congolité oublient que la Nation congolaise a une âme. Le passé héroïque de ses pères et de ses martyrs constitue son capital social. "Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un grand peuple", écrit Ernest Renan. A coup sûr, le peuple congolais est un très grand peuple. Kimpa Vita, Simon Kimbangu, Patrice Lumumba, Jason Sendwe, Joseph Malula, Grand Kalle, Franco, Papa Wemba, Liyolo, Kidumu, Kazadi, Etienne Tshisekedi, Laurent Monsengwo Pasinya voilà les immortels qui ont fait la Nation. Le philosophe déclare qu' "En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun". Cet effort commun, l'hymne national écrit par le Père Boka di Mpasi l'évoque en nous invitant par le labeur à bâtir un pays plus beau qu'avant !
"Une Nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a fait et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le désir clairement exprimer de continuer la vie commune", dit l'historien. Les Evêques du Congo l'ont rappelé en appelant tous les Congolais à la cohésion nationale et à la réaffirmation de leur volonté commune de "Vivre Ensemble" !
Aujourd'hui, le Congo est à la veille d'un nouvel embrasement. Ceux qui gardent silence en dressant le sombre dessein de violer la Constitution aux fins d'exclure des Congolais des hautes charges de l'Etat porteront demain, au même titre que les instigateurs de la loi sur la Congolité, la responsabilité des violences auxquelles conduiront l'adoption de ce texte car toutes les communautés dont les enfants se sentent menacés vont se replier sur elles-mêmes. A l'Est et au Katanga, la maison Congo brûle déjà. Il est grand temps que le Président Tshisekedi sorte de son silence pour éviter que l'incendie n'emporte le pays !
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