Il y a un mois, l’hôtel Mbinza à Goma accueillait une centaine de mercenaires du groupe Wagner. Sitôt connue, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans la capitale du Nord Kivu.
Une publicité dont ce serait volontiers passé les autorités congolaises contraintes de charger rapidement le général major Jerôme Chico Tshitambwe, ancien commandant adjoint chargé des renseignements militaires, promu en octobre dernier sous-chef d’Etat major chargé des opérations, de reloger les "affreux" (surnom donné aux mercenaires) russes dans des résidences privées louées par la présidence congolaise.
La discrétion était de mise d’autant plus qu’à New York, le Conseil de Sécurité des Nations Unies levait définitivement toute forme d’embargo sur la vente des armes de guerre aux FARDC. Etrange paradoxe, ce sont les Russes qui se frottent les mains de cette décision. Désormais, les supplétifs des FARDC embauchés à grands frais sur le compte du Trésor ont la possibilité de se servir dans l’arsenal russe mis à leur disposition.
Le bon camarade Félix
Entre la Russie de Vladimir Poutine et le Congo de Félix Tshisekedi, les relations sont plus que jamais à l’amitié. Washington, Londres, Paris et Bruxelles en sont réduits à fermer les yeux et se boucher le nez devant le spectacle offert par le locataire du Palais de la Nation et le chef du Kremlin. Pour rappel, en 2021, la Russie dit avoir livré « gracieusement » un volume de 160 tonnes d’armes et de munitions aux FARDC. Pour justifier cette livraison, les autorités de Kinshasa énonçaient avec une hypocrisie confondante le principe que chaque Etat est libre et souverain en matière de coopération et qu’aucun pays ne pouvant prétendre à l’exclusivité de la coopération, la RDC tournait le regard vers Moscou pour équiper son armée et former ses officiers.
C’est dans cette perspective, qu’en été dernier, profitant de son séjour en Russie où il participait à la Xème conférence sur la sécurité internationale tenue du 15 au 18 août, le ministre de la Défense Gilbert Kabanda avait eu des contacts avec quelques officiels russes. Il était à l’époque question d’échanger sur la possibilité d’obtenir de la Russie des équipements militaires modernes. A ce propos, le ministre Kabanda s’était entretenu avec Alexander Fomin, vice-ministre de la Défense de la Russie.
Gilbert Kabanda avait eu également un entretien avec Anatoly Punchuk, directeur régional de la coopération. Le vendredi 19 août, en marge de cette conférence internationale où il était invité par son homologue Serguei Shoigu , le ministre de la défense congolais déclarait : « La Fédération de Russie, en bon ami, s’est toujours abstenue de nous faire des chantages, des blâmes ou sanctions subjectives ».
La légendaire compassion de Poutine
Quelques mois plus tard, à la suite du massacre de Kishishe, Vladimir Poutine s’empressait d’exprimer « toute sa compassion » à Félix Tshisekedi. Il dépêchait Alexey Sentebov, Ambassadeur de la Fédération de Russie en RDC auprès de son ami congolais. Questionné par la presse congolaise sur l’agression rwandaise, l’Ambassadeur russe exprimait de manière claire et sans ambages la position russe qui « condamne toute atteinte à l’intégrité territoriale de la RDC ».
Entretemps, sur le terrain, dans le Nord Kivu, la présence des mercenaires russes a bel et bien été constatée. Washington se contente aujourd’hui de saluer la position de la RDCongo dans ses votes aux Nations Unies tout en gardant silence sur les alliances russo-chinoises sur le sol congolais. En parfait équilibriste, Félix Tshisekedi marche désormais sur un fil entre ses accointances russes, ses partenaires chinois dans le Katanga et ses alliés occidentaux. Un fin analyste de la politique congolaise note que « Félix Tshisekedi deale avec les Chinois en renégociant le pas de porte de Tenke Fungurume, achète les mercenaires russes de Wagner en échange de quelques carrés miniers au Katanga et continue à engranger les fonds des bailleurs et les satisfecits du FMI. Dans un monde où ressurgit les deux blocs, le chef de l’Etat congolais cultive l’art consommé de la duplicité et du mensonge à un niveau inégalé ».
La présence du groupe Wagner en Afrique est particulièrement suivie par tous les observateurs et analystes de la politique internationale. Vladimir Poutine ne cache plus de volonté d’ouvrir le champ de la compétition avec l’Occident au-delà de l’Europe. Les techniciens militaires russes de Wagner sont déployés au Soudan, en Centrafrique et en Libye. Des consultants du groupe Wagner sont vus au Mali vers fin 2019, et dans le courant de l'année 2021. Pierre Boisselet, coordonnateur des recherches sur la violence d’Ebuteli, le partenaire du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York, confirmait récemment que « par certains aspects, la présence russe en République démocratique du Congo rappelle ce qu’elle était en Centrafrique à ses débuts. Le chargé d’affaires de l’ambassade russe à Kinshasa depuis 2021, Viktor Tokmakov, était précédemment basé à Bangui, où il a facilité l’implantation de la société militaire privée russe Wagner. Comme elle l’avait fait en Centrafrique, la Russie a pris position, au moins publiquement, contre le régime de sanctions concernant la RDC, au Conseil de sécurité de l’ONU en juin dernier ». Pour rappel, Viktor Tokmakov, chargé d’affaires à Kinshasa a occupé ce poste pendant 6 ans à Bangui où il a orchestré l’entrée du Groupe Wagner. Extrêmement discret, il participe activement à l’entrée de la Russie dans le secteur des mines congolais.
Dans ce jeu dangereux, il est utile de rappeler qu’en 2020, l'Union européenne décidait de sanctionner « la société de sécurité privée russe Wagner » ainsi que huit personnes et trois sociétés qui lui sont liées, notamment à l’oligarque russe Evgueni Prigojine, présumé fondateur du groupe.
En décembre 2021, l'Union européenne a accusé le groupe d'«alimenter la violence, de piller les ressources naturelles et d'intimider les civils en violation du droit international » dans différents pays : Libye, Syrie, Ukraine et République centrafricaine. Les sanctions touchent Wagner, trois sociétés liées à Wagner (Evro Polis, Mercury et Velada) et huit personnes dont Dmitri Outkine, Valery Zakharov, un conseiller du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, Denis Kharitonov, un militaire séparatiste dans le Donbass, et Andreï Trochev, un militaire en opération en Syrie.
La présence de Wagner à Goma étant avérée, il faut désormais scruter attentivement quelle sera l’attitude de l’Union Européenne et de Washington face à cette énième couleuvre que Kinshasa tente de leur faire avaler. Dans une année électorale où les tensions se font de plus en plus vives entre le président congolais sortant et ses principaux rivaux, la présence militaire russe en RDCongo risque d’être une pierre bien difficile à cacher dans le jardin de Kinshasa.
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