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  • Photo du rédacteurmutambak96

Christian Lusakueno, le manager de presse qui valait trois millions




"Celui qui dit que je suis proche du pouvoir, qu'est-ce qu'il entend par là ? Qu'on mange ensemble ? Qu'on dort ensemble ? Qu'on fait quoi ? Qu'on fait des affaires ensemble ? Non ! Je réponds non ! Et c'est pour ça que je m'énerve !", tonnait autrefois Christian Lusakueno, 45 ans, le patron de la radio la plus suivie de RDCongo, Top Congo.


Peu disert sur son parcours et ses relations avec les pouvoirs, en vingt années de travail et de relations politiques, Christian Lusakueno a monté une belle affaire. L'homme joue aujourd'hui un rôle clé dans la gestion d'un média considéré comme la deuxième radio du pouvoir. Réputé pour son expertise et sa rigueur, ce manager de l'info a tiré le meilleur parti de sa connaissance des arcanes du pouvoir.


Issu d'un famille aisée - son père fut un chirurgien cardiologue de grande renommée - Christian Lusakueno est né et a grandi en France où il a passé une grande partie de sa scolarité. A 12 ans, ses parents l'inscrivent au Lycée Descartes à Kinshasa où il passe quelques années avant de repartir en France où il opte pour la nationalité française. La culture française forge l'identité du futur patron de presse congolais qui affirme adorer la France.


Radio Panik

En 1993, aux côtés de Me Jean-Jacques Badibanga, Christian Lusakueno assure le décollage de la radio communautaire bruxelloise Radio Panik. En pleine période de démocratisation de la vie politique, Christian Lusakueno prend part au développement de la diaspora congolaise en diffusant la première émission en lingala. L'homme gagne en réputation au sein d'une communauté qui prend conscience de son identité et de sa capacité à défendre les intérêts de la RDCongo.


Début des années 2000, le producteur et homme d'affaires François Londala convainc Lusakueno de quitter la Belgique et d'accomplir le pas le plus important de sa jeune carrière en rentrant au pays. Le 14 juillet 2003, après plusieurs mois de test, Christian Lusakueno lance Radio Top Congo. Le succès est au rendez-vous avec des émissions phares comme "Libre Actualité".


Aux côtés des Mamadou Moussa Ba, figure influente du journalisme sénégalais et ancien directeur de publication du quotidien sénégalais le Soleil, de Jacques Matand, ancien correspondant de l'AFP en RDCongo connu pour son travail sur les conflits et les droits de l'homme dans la région des Grands Lacs, du regretté Jean Karim Fall, ancien correspondant de RFI et FR 24, d'Alain Foka, réputé pour son expertise dans les affaires africaines et son approche analytique et équilibrée des évènements du continent, au fil des années, Christian Lusakueno acquiert un nom et une réputation. Sa radio compte aujourd'hui plus de dix millions d'auditeurs. Sa réputation dans une partie de l'Afrique francophone qui suit les affaires du Congo n'a rien à envier à la guinéenne Maimanou Barry, à la Malienne Aminata Traoré, à Sonia Rolley ou à Léa-Lise Westerhoff connue pour son travail pour les questions politiques et sociales en Afrique francophone.


Pile et face

Si le côté face de l'homme de presse congolais est flatteur et séduisant, le côté pile est d'une nature toute différente. En trente années de métier, Christian Lusakueno va tirer parti de son incontestable maîtrise des coulisses peu reluisantes de la politique congolaise.


Dès son retour en RDCongo, C. Lusakueno fait l'objet d'un "suivi" de la présidence de Joseph Kabila. Le jeune Chef d'Etat congolais a besoin de convaincre l'opinion nationale et battre en brèche ses adversaires politiques qui mettent en doute sa nationalité congolaise. Parmi ses proches, Joseph Kabila compte des personnalités de la presse comme Wivine Moleka, aujourd'hui vice-Ministre des Hydrocarbures, de Colette Tshomba, ancienne Rapporteur de l'Assemblée Nationale ou encore de Francis Kalombo, le porte-parole actuel de Moïse Katumbi. Le jeune Chef de l'Etat très peu à l'aise en français s'entoure de communicateurs avec lesquels il apprend les codes de la politique congolaise. Ecoutant ses proches, Kabila va faire de Christian Lusakueno et sa radio Top Congo un instrument de pouvoir. Le Chef de l'Etat congolais prend la décision de financer l'équipement de la jeune radio et d'octroyer une aide financière à son promoteur qui intègre le payroll des hommes du pouvoir.


Question de motivation

"Chaque mois, une enveloppe avoisinant 30.000 Usd était mise à disposition d'un appui à la presse et à Lusakueno", affirme un ancien conseiller de Joseph Kabila qui ajoute que "ce n'était pas de la corruption, juste une motivation".

Il est intéressant d'observer qu'à l'époque, le patron de Top Congo affirmait qu'il ne fallait pas avoir peur des mots, "la corruption est la raison pour laquelle le pays recule".


En 2019, Christian Lusakueno qui connaît parfaitement les méandres de la diaspora congolaise assiste à l'arrivée inespérée de Félix Tshisekedi au pouvoir. L'accord politique entre Joseph Kabila et son successeur désigné constitue une aubaine pour le patron de Top Congo qui a ses réseaux dans le circuit des Belgicains. La patron de Top Congo adhère immédiatement à la logique du nouveau pouvoir. Comme en son temps son prédécesseur, Félix Tshisekedi a lui aussi besoin d'une voix respectée hors du média public national décrié par ses compatriotes. Il a Lusakueno à portée de main et va acheter ses services contre monnaies sonnantes et trébuchantes.


"Lors du premier mandat, Top Congo a acquis le statut de deuxième chaîne publique. Un montant de 250.000 Usd est alloué chaque mois pour Lusakueno" affirme un responsable de la RTNC. Alors que la chaîne nationale est à la dérive, Top Congo multiplie les scores d'audience et les relais. Sous couvert d'une impartialité apparente, la radio privée rivalise avec Radio Okapi financée par la communauté internationale. Avec un fonctionnement couvert par le Gouvernement, Christian Lusakueno accroît ses investissements.


De Joseph Kabila à Félix Tshisekedi, le réalisme ne s'embarrasse pas de nostalgie ni de gratitude. "Passer d'un camp à l 'autre n'a pas été un problème pour le patron de Top Congo", persifle un journaliste proche de Martin Fayulu qui fustige "l'ambiguïté intentionnelle" dont use Christian Lusakueno dans ses relations avec les chefs de file de l'opposition, le langage spécieux et les arguments fallacieux qui semblent logiques mais qui en réalité sont invalides ou trompeurs.


Au fil des débats, au sein de la classe politique, l'affiliation de Top Congo au pouvoir de Félix Tshisekedi devient une évidence. Plusieurs auditeurs critiquent l'usage abusif de la rhétorique pour susciter des émotions ou pour masquer la faiblesse des arguments du pouvoir. Il est vrai qu'avec un financement de plusieurs millions de dollars, en cinq années, Lusakueno est devenu un obligé du ministre de la Communication Patrick Muyaya et de Félix Tshisekedi. "En réalité, Lusakueno est à Tshisekedi ce que les Essolomwa et Bondo Nsama furent à Mobutu" , tranche un ancien de la RTNC.


Manipulation

Au fil des années, Top Congo contribue à la manipulation de l'opinion congolaise. Un universitaire n'hésite pas à engager une charge sévère contre le patron de TOP Congo en affirmant que "la distorsion de l'information de cette radio financée par le pouvoir a non seulement limité la capacité des citoyens à tenir les dirigeants congolais responsables de leurs actions mais a également contribué à fausser le débat public". Ce professeur émérite poursuit : "L'intelligence reconnue à Christian Lusakueno est d'avoir su manipuler l'opinion publique en donnant l'impression de maintenir un semblant de diversité d'opinions tout en portant atteinte à la capacité de ses auditeurs à prendre des décisions éclairées".


Au moment où la démocratie doit s'accommoder des médias de masse qui jouent un rôle essentiel dans la formation de l'opinion publique et la surveillance des autres pouvoirs, l'ambition assumée de Christian Lusakueno de devenir le chef de fil du cinquième pouvoir soulève la question de l'éthique et de la responsabilité des gardiens de l'information qui sont les garants de la liberté d'expression.


Au moment où plusieurs journalistes font régulièrement face à des intimidations, des violences, des pressions politiques du pouvoir et ne peuvent exercer leur métier de manière indépendante et sans entrave, la corruption et l'achat des consciences frappent encore et toujours les managers de l'information. Ceux qui prétendent défendre la dignité des Congolais et l'Etat de droit en sont parfois les plus grands pourfendeurs.

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