“Après tout ce qu’on a fait pour lui, cet homme n’a aucune parole. On ne va pas se laisser avoir une deuxième fois", tonne un proche de Vital Kamerhe. L’objet de la discorde n’est ni plus ni moins que le refus de Félix Tshisekedi de donner la primature tant convoitée par son ancien directeur de cabinet. Sorti de prison, acquitté par la justice de ses crimes, les partisans de Kamerhe rêvaient de revanche. Et pas n’importe laquelle ! Au sein de l’UNC, tout le monde voit le chef accéder enfin à l’hôtel du gouvernement. Le retour du couple dans les fêtes du pouvoir le laissait espérer. La déception du clan Kamerhe est d’autant plus amère que tout laissait présager à une réconciliation sincère entre les deux signataires de l’accord de Naïrobi négocié sous les auspices de l’ancien président kenyan Uhuru Kenyatta. A l’un la présidence, à l’autre la primature ! Tout cela est bel est bien oublié. Vital Kamerhe ne sera jamais le Premier ministre de Félix Tshisekedi.
Un président roi du paraître
C’est dans les allées du Mont Ngaliema, en marge du mariage princier organisé par Félix Tshisekedi en l’honneur de sa fille aînée Fanny Tshisekedi qui régularise sa situation maritale avec son conjoint que les négociations politiques pour la constitution du dernier gouvernement de la législature se poursuivent. Les couples Kamerhe et Bemba font leur entrée dans les jardins du Versailles congolais dignes d’André le Nôtre et d’Henry Dupuis, les jardiniers de Louis XIV. La réhabilitation du site érigé sur le Mont Ngaliema par le Maréchal Mobutu vient d’absorber plus de 150 millions USD sur un marché de gré à gré entre amis comme d’habitude. Tout à la gloire de l’ancien livreur de colis express reconverti en Chef d’Etat de la République démocratique du Congo. Comme à la plus belle époque de la parfaite entente de leurs maris respectifs, les deux premières dames congolaises, Denise Nyakeru-Tshisekedi et Hamida Chatur-Kamerhe ont à nouveau rivalisé d’élégance parées de bijoux dans leur tenue des hauts couturiers parisiens. Mais les lampions de la fête ne sont pas encore éteints que pour certains c’est véritablement la soupe à la grimace.
Des indiscrétions glanées dans les cercles du pouvoir, il s’avère que le Président Tshisekedi a parlé à son ancien Directeur de Cabinet pour lui annoncer qu’il ne devait pas rêver de la Primature. Le Chef de l’Etat a laissé deux options à son allié en lui laissant le choix d’accéder au rang de Haut Représentant et Conseiller du Président, poste laissé vacant depuis la disparition de Yezu Kitenge, ou devenir le chef de file de la majorité présidentielle, à l’image de ce que fut Aubin Minaku Ndjalandjoko à l’époque de Joseph Kabila. Pour Vital Kamerhe et sa troupe, la pilule est dure à avaler. L’homme se voyait déjà conduire l’équipe gouvernementale en charge des élections.
Monnaie de singe et jeu de dupes
"Félix Tshisekedi se moque de nous. Que ce soit comme Haut représentant ou comme Chef de file de la majorité, Vital n’aura pas un mot à dire sur la gestion des affaires du gouvernement", s’étrangle un proche de l’ancien président de l’Assemblée nationale qui rappelle que l’homme de Bukavu a tout sacrifié en gardant silence, dans sa cellule de Makala, pour ne pas briser son alliance avec Félix Tshisekedi. "On nous paie en monnaie de singe !", tonne l’homme qui ne cache pas sa colère.
Du côté de la présidence, c’est le mutisme le plus complet. On rappelle simplement que Sama Lukonde n’a pas démérité. S’il n’est pas flamboyant, le Premier ministre fait bien le boulot et ne pose aucun problème au Chef de l’Etat. "Nous ne pouvons pas nous permettre de frustrer le Katanga en les privant de la Primature alors que toutes les ressources du pays proviennent de chez eux", explique un conseiller de Félix Tshisekedi qui confirme le maintien de l’actuel Premier Ministre. C’est pour Dany Banza, le mentor attitré du Chef du gouvernement et gestionnaire des comptes offshore du Président de la république, une victoire après les déconvenues subies au cours des derniers mois avec la réconciliation katangaise.
Côté des alliés du candidat Tshisekedi, il apparaît de plus en plus clairement que Christophe Mboso Nkodia conserve la cote. Le 7 août dernier, le président de l’Assemblée Nationale vient de fêter ses 80 ans. Le vieillard n’a fini d’étonner la cour présidentielle. Son allégeance et sa loyauté la plus totale à Félix Tshisekedi n’a d’égale que sa docilité à lever les immunités parlementaires des députés hostiles au régime. Cette allégeance est d’autant plus avérée que Félix Tshisekedi y met le prix. Chaque mois, l’Assemblée Nationale perçoit près de 33 milliards de FC, soit 17 millions USD. Après avoir payé les députés une indemnité parlementaire de 20.000 Usd/député, le vieux président de l’Assemblée Nationale garde dans sa gibecière une enveloppe de 7 millions USD pour son fonctionnement, son train de vie et sa clientèle politique.
En ce qui concerne Mboso Nkodia, ce sont moins les qualités du Président de la Chambre qui sont saluées que son audience dans le Kwango qui faisait autrefois partie de l’ancien Bandundu acquise à Martin Fayulu. Par aileurs, c’est désormais un secret de polichinelle que derrière la candidature de l’ancien Premier Ministre Adolphe Muzito, son beau-fils Patrick Muyaya, ministre de la communication, et son épouse originaire du Kasaï sont à la manœuvre. Autant de suffrages qui échapperont à Fayulu. "Si l’on compte les voix de Mboso et du Palu en faveur de Félix Tshisekedi, de Kamitatu en faveur de Moïse Katumbi, et des anciens kabilistes, Martin Fayulu aura difficile à afficher à nouveau le même score qu’en 2018", déclare un des stratèges électoraux du Chef de l’Etat. Ce qui va contribuer à freiner naturellement la dynamique de Fayulu dans son bandundu et réduire d’autant son élan au niveau national.
Dans l’échiquier électoral, Félix Tshisekedi vise à neutraliser l’électorat de Fayulu et à acquérir celui du grand Equateur. A cet effet, le président congolais n’hésite pas sur la dépense. A défaut d’une adhésion à son projet, ses alliés sont des hommes achetables et corvéables. En premier lieu, le jeune ministre d’Etat Guy Loando est en charge de la partie au Sud de la courbure du fleuve Congo. Fort de ses liens financiers avec l’homme d’affaires chinois Simon Kong, Guy Loando a consolidé ses liens avec Félix Tshisekedi en organisant le montage d’achat des 600 jeeps Hyundai Palissade pour lesquelles son partenaire chinois a mis la main au portefeuille. En récompense, le jeune avocat s’est vu gratifier d’un strapontin ministériel. A l’époque, il lorgnait les travaux publics, il lui sera attribué l’aménagement du territoire pour lequel le Président de la République a adossé un fonds de plusieurs millions de USD. Aujourd’hui, la voirie de Mbandaka est en cours de réhabilitation par une compagnie chinoise. Rien ne se perd ! Avec Loando, Félix Tshisekedi compte prendre en main l’espace mongo qui, à l’époque du maréchal Mobutu, était sous la main des Bomboko, Nkema, Mokolo…
Bemba en enfant de choeur
Au Nord de l’Equateur, le président congolais compte sur la soumission de Jean-Pierre Bemba. Après dix années derrière les barreaux de prison néerlandaise à Scheveningen - dans les faubourgs de La Haye -, le chef du MLC n’est plus que l’ombre de lui-même. A la recherche du temps perdu, JP Bemba veut retrouver un train et les honneurs dus à son rang d’ancien vice-président de la République. Après avoir courtisé Moïse Katumbi, c’est sans état d’âme que l’ancien rebelle s’est jeté corps et âmes dans les bras de Félix Tshisekedi. Cet élan passionnel n’a pour but qu’embrasser des millions de dollars. Miraculeusement, tous les dossiers judiciaires de Bemba se sont aujourd’hui transformés en manne financière. Ainsi, dans un dossier relevant plus d’une escroquerie digne Bernie Madoff, Bemba a-t-il remporté près de 20 millions USD contre la RVA pour une fausse affaire d’avions envoyés à la casse sur instruction de la RVA. La valeur de ces aéronefs n’excédait pas 300.000 USD. Récemment, une autre affaire judiciaire rocambolesque a permis à Bemba d’empocher 12 millions de dollars sur la vente du siège de l’ex-BCDC devenue EQUITY Bank. Ces succès judiciaires sont en réalité la contrepartie de l’alliance politique entre Félix Tshisekedi et Jean-Pierre Bemba. Le 28 juin, Me Alexis Lenga obtenait un paiement de 2.000.000 Usd en faveur de Jean-Pierre Bemba. Un second paiement était réalisé le 04 juillet du même montant. De quoi raffermir les liens entre les tenants du pouvoir et acheter la conscience de son nouvel allié qui n’a d’autres exigences politiques à ce jour que de conserver quelques ministères juteux.
Dans l’Est du pays, Félix Tshisekedi compte sur l’appui de deux grandes ethnies du Kivu et une du Katanga. Il s’agit des Nande de Beni et de Butembo. Au Nord Kivu, tous les leaders Nande, de Mbusa Nyamwisi à Julien Paluku en passant par la nouvelle recrue de Ensemble, le ministre Muhindo Nzangi, ont adopté une posture favorable à la réélection du président. Aucun d’eux n’osent parler de l’échec retentissant de l’état de siège et des massacres perpétrés chaque jour par les ADF.
Dans le Sud Kivu, le président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo est totalement acquis à Félix Tshisekedi. Avec une enveloppe budgétaire de 21 milliards de FC/mois, soit plus de 10 millions USD, le président du Sénat dispose d’un volant financier important. Plus important que l’enveloppe de son collègue de l’Assemblée Nationale. Alors que la rémunération de l’ensemble des 108 sénateurs n’excède pas 1.200.000 USD/mois, la rente mensuelle plus que confortable de près de 8,8 millions USD pour le fonctionnement du Sénat explique la parfaite docilité du numéro deux du régime congolais. Aujourd’hui, rien d’étonnant que Vital Kamerhe, Modeste Bahati et Claude Nyamugabo se disputent au nom de leur communauté des Bashi les faveurs du président congolais.
Au Katanga, la rupture de ban entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi a naturellement conduit les fidèles de l’ancien président à tourner leur regard vers Moïse Katumbi. Le maintien au pouvoir de Sama Lukonde, issu de la même ethnie que l’ancien gouverneur du Katanga, est très loin d’être une garantie pour le régime qui fait face à la réconciliation katangaise. Assurément, le gouverneur actuel du Haut Katanga, Jacques Kyabula, l’intérimaire du Lualaba, Fifi Masuka, et Dany Banza sont très loin de faire le poids face à Moïse Katumbi et Joseph Kabila.
En réalité, le nouveau gouvernement en gestation constitue la dernière séquence politique majeure avant les élections. Assuré de disposer de la totalité des membres du bureau de la CENI acquis à sa cause, Félix Tshisekedi ne redoute pas les élections. Il lui reste quelques mois pour acheter la classe politique congolaise et organiser un vaste comédie électorale. Les candidatures des anciens premiers ministres Augustin Matata Ponyo et Adolphe Muzito, de Martin Fayulu et même du Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege ne semblent pas préoccuper Félix Tshisekedi et ses amis. Aux yeux du clan au pouvoir, seul Moïse Katumbi dispose des atouts susceptibles de renverser l’ordre établi.
Tout danger n’est toutefois pas écarté pour la majorité au pouvoir. « Nous finalisons la charte de l’Union Sacrée. Tous les signataires doivent s’engager à soutenir la candidature du Président et mouiller le maillot pour sa réélection » affirme un des conseillers politiques du président les plus écoutés. Dans le camp du pouvoir on ne badine pas. Tous ceux qui ne veulent pas s’engager avec Félix Tshisekedi seront définitivement mis hors course pour les postes au sein du gouvernement en gestation. La redistribution des cartes politiques est engagée. De Vital Kamerhe à Jean-Pierre Bemba en passant par Christophe Mboso, les places sont de plus en plus chères. Face à la plus vaste entreprise de corruption jamais déclenchée en RDCongo pour acheter la classe politique, à en croire les fidèles de Félix Tshisekedi, ceux qui resteront sur le carreau n’auront que leurs yeux pour pleurer.
Divorce entre les églises à coups de millions
Après avoir mis la classe politique congolaise dans sa poche, Félix Tshisekedi tente d’acheter la société civile. Sur les conseils d’une poignée de pasteurs, le nouvel homme fort du régime, Félix Tshisekedi tente de rallier les évêques de la CENCO et de diviser l’Eglise catholique de sa consoeur protestante. Une enveloppe de un million USD par diocèse est disponible. "On attend que les projets qui seront déposés par les evêques dans le cadre du programme de développement local des 145 territoires", dit un expert du BCECO. Si l’arrosage des princes de l’Eglise suscite la colère du cardinal Ambongo, plusieurs évêques ont déjà mordu à l’hameçon. Il en va de même des grands acteurs de la Société civile qui ont été ralliés à la cause du président Congolais.
Fort de l’atout de la CENI et du pouvoir financier, il n’en demeure pas moins qu’à quelques mois de l’échéance présidentielle, le bilan de Félix Tshisekedi est particulièrement maigre. Très maigre. Tant sur le plan sécuritaire que sur le plan social, les résultats sont catastrophiques. A l’Est du pays, les massacres continuent. Le M23 continue de narguer les FARDC. Au niveau diplomatique, la Communauté internationale renâcle à condamner le Rwanda. Les preuves de la complicité du régime congolais avec les génocidaires FDLR sont accablantes. L’incitation au génocide de la communauté congolaise Tutsi par une poignée de proches de Félix Tshisekedi et de l’UDPS a achevé de compromettre le régime congolais et attirer les foudres des gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda.
A travers le pays, l’exhibition grossière des nouvelles fortunes acquises par le clan Tshisekedi en quelques mois de pouvoir par l’exploitation des mines du Katanga et les détournements des deniers publics augmente la colère des millions de Congolais parmi lesquels 27 millions d’entre eux souffrent chaque jour de la faim. Le volcan sur lequel règnent Félix Tshisekedi et ses nouveaux alliés gronde chaque jour davantage. L’arrestation nocturne d’une vieille septuagénaire pour outrage au Chef de l’Etat et la mise en scène grotesque de sa libération ont constitué une énième humiliation pour les Congolais.
"Il n’a même pas pris la peine de parler des massacres à l’Est et des Congolais qui meurent tous les jours à Beni et Butembo. Il a préféré parler de la nationalité de sa femme et nous menacer", se lamente une jeune Congolaise. De passage à Ndjamena, en menaçant ouvertement tous les Congolais qui s’opposent à son régime, Félix Tshisekedi a consacré la rupture avec une grande partie de l’opinion publique congolaise. Les réseaux sociaux bruissent chaque jour des menaces du maître du Congo contre tous ceux qui dénoncent l’enrichissement illicite scandaleux de sa famille. Tous les milliards déversés par Félix Tshisekedi sur le Congo annonce un affrontement inévitable entre le pouvoir de l’argent et celui de la rue. Même s’il s’organise à tout voler, en fin de compte, la réponse finale reviendra au peuple congolais !
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