C’est une course contre la montre que le Vice-Premier Ministre de l’Intérieur Peter Kazadi, les généraux Franck Ntumba, chef de la maison militaire, et Christian Ndaywel, chef des renseignements militaires, ont engagé pour « monter » un dossier contre Salomon Kalonda.
Depuis le 30 mai dernier, le conseiller spécial de Moïse Katumbi est arrêté et mis au secret dans les cachots des services de renseignement militaire. Ses avocats sont interdits de le rencontrer. Le jeune leader du Maniema est officiellement accusé par le DEMIAP de détention d’armes, de complicité avec le M23 et d’intelligence avec le Rwanda pour mettre au pouvoir un homme politique katangais. Rien de moins ! Mais, après huit jours d’enquêtes, les preuves brandies par le DEMIAP s’effondrent. L’objectif recherché est d’impliquer Moïse Katumbi et de le condamner dans un dossier d’atteinte à la sûreté de l’Etat. A l’évidence, la moisson récoltée par le DEMIAP est maigre. En poursuivant avec obstination le chemin emprunté par son prédécesseur de se débarrasser de son principal adversaire politique par un faux dossier, Félix Tshisekedi emprunte une voie risquée. Après la proposition de loi Tshiani retoquée par le bureau d’études du parlement, la partie qui se joue dans les couloirs des services de sécurité et de la présidence est serrée. Instrumentaliser l’armée, les services de sécurité et la justice pour écarter définitivement le candidat le plus célèbre de l’opposition n’est pas chose facile. Le match est loin d’être gagné pour Félix Tshisekedi !
Tout a changé le 20 mai
Au moment où les troupes de l’EAC sont déployées à l’Est, que le M23 joue à l’accordéon dans les territoires du Kivu, que les milices foisonnent à la porte de Kinshasa, le régime de Félix Tshisekedi est passé à la vitesse supérieure dans la répression des opposants.
Jusqu’au 20 mai dernier, date de la marche que l’opposition avait programmée pour dire non à l’insécurité, à la faim et aux élections chaotiques, la vie politique congolaise semblait suivre un cours plus ou moins normal. A quelques mois des élections générales, le pouvoir en place verrouillait le processus électoral en parachevant son contrôle sur toutes les étapes des prochains scrutins. Avec à la clé, une photo de famille élargie rassemblant autour lui, l’ancien vice-président et rebelle Jean-Pierre Bemba, l’ancien président de l’Assemblée Nationale et directeur de cabinet, Vital Kamerhe et même Mbusa Nyamwisi, l’éternel exilé, Félix Tshisekedi semblait avoir la partie gagnée d’avance.
La milice à la machette de l’UDPS
Mais on n’est jamais assez prudent. Au sein du gouvernement recomposé, Félix Tshisekedi collait au Chef du Gouvernement reconduit, son ami Peter Kazadi avec les pouvoirs étendus sur la police, la sécurité et l’appareil répressif et lui confiait la mission de casser définitivement l’opposition.
Le signal n’allait pas tarder à tomber avec la répression sanglante de la marche des opposants. S’ensuivaient l’interdiction pour Moïse Katumbi de se rendre au Kongo Central et au Kwilu et le barrage opposé au sit-in des opposants devant le siège de la CENI. En quelques jours, le régime de Kinshasa endossait sans coup férir le manteau de l’autocratie assumée.
L’apparition de la milice de l’UDPS armée de machettes et de tenues frappées aux sigles du parti de Limete aux côtés des fameux wewas (motards) kasaïens achevait de démontrer la transformation du régime congolais en une copie tropicalisée du Duvaliérisme haïtien.
Le mardi 30 mai à 11H30, la présidence de la République confirme le feu vert donné aux agents des renseignements militaires de procéder à l’arrestation de Salomon Kalonda, le Conseiller Spécial de Moïse Katumbi. L’opération conduite sous les ordres du général Christian Ndaywel est menée au grand jour sur le tarmac de l’aéroport de Ndjili. Les membres du commando recrutés parmi les officiers de la maison militaire du Chef de l’Etat ont pris soin d’écarter préalablement les gardes de l’ancien gouverneur qui s’apprêtait à prendre l’avion pour Lubumbashi. La scène est filmée. Voyageurs et personnel de l’aéroport n’en croient pas leurs yeux. Salomon Kalonda est brutalisé, déposé sans ménagement sur la plate-forme d’un pick up et conduit à un endroit inconnu. Il faudra plusieurs heures avant d’apprendre que le plus proche collaborateur de Moïse Katumbi est détenu dans un cachot des services de renseignements militaires. Si les faucons du pouvoir se frottent les mains, au sein de la classe politique, c’est le silence général. La dictature s’installe, il n’est pas recommandé de faire du bruit au risque de déplaire au tyran.
Kazadi l’exécuteur des basses œuvres
Pendant 5 jours, Salomon Kalonda est gardé au secret. A peine de retour d’un voyage officiel en Chine, Félix Tshisekedi s’affiche avec une délégation de parlementaires belges qui tombent en pamoison devant le nouvel homme fort du Congo. Décidément, à Bruxelles on ne se refait pas. Dans la capitale congolaise, le Vice-Premier Ministre Peter Kazadi écrit le script de ce qui doit apparaître comme la chute de Moïse Katumbi et de ses hommes par le démantèlement de la colonne secrète du Rwanda dans la capitale. Il faut absolument coller à Salomon Kalonda un dossier ayant trait à une complicité avec les rebelles du M23, des liens avec les autorités rwandaises et la volonté d’organiser un coup d’Etat en faveur de l’ancien gouverneur du Katanga. Toutes les accusations doivent remonter à Katumbi. Il faut mettre hors circuit l’homme fort de l’opposition dont le séjour à Kinshasa vient d’indisposer le pouvoir.
La fabrication des preuves prend du temps
Les enquêteurs du DEMIAP se démènent pour monter des dossiers. La seule personne qui accède au prisonnier est son frère, l’ancien ministre Moni Della qui est autorisé à lui apporter le catering et le strict nécessaire. Le visiteur est malmené et éconduit par les gardes qui finissent par lui interdire l’accès au détenu. Dans les bureaux, les militaires cherchent des preuves. Quand ils ne les trouvent pas, on leur demande d’en fabriquer. La Présidence insiste. Il faut que Kalonda soit traduit devant les cours militaires rapidement. Le général Likulia, auditeur général, est déjà saisi. Il a recruté en secret les magistrats qui seront chargés de la besogne. Mais la fabrication des preuves prend du temps.
Arrêté le 30/05, Salomon Kalonda est auditionné pour la première fois durant 30 minutes vendredi 02/06 par des agents de la Demiap, de l'ANR, de la CNS, en présence "de représentants de la Présidence" mais sans ses avocats qui sont interdits d’accéder à leur client. Félix Tshisekedi qui suit le dossier a décidé de piétiner la Constitution.
Au Ministère de l’intérieur, Peter Kazadi s’impatiente. Il veut présenter des résultats à son chef. Les enquêteurs du DEMIAP ont bien retrouvé une arme dans la rue lors de la manifestation de l’opposition du 25 mai dernier. Ils s’empressent de l’attribuer à Salomon Kalonda. Ceux qui fouillent les deux téléphones portables du conseiller spécial de Katumbi sont également à pied d’œuvre. Ils identifient tous les correspondants de Kalonda ainsi que les messages. Ils ne tardent pas à voir que le téléphone a borné à plusieurs reprises en Ouganda et au Rwanda. Des Sms affichent « Bienvenue Rwanda » et « Bienvenue Ouganda ». Pas de quoi dresser une accusation mais on s’y dirige.
Dans la bibliothèque des photos de l’appareil, les enquêteurs découvrent la photo de Salomon aux côtés de Joël Malembe, un ancien rebelle du M23, originaire du Kasaï , amnistié en 2014, mais détenu depuis le 1er mars 2023 dans les cachots de l’ANR pour escroquerie. Immédiatement, le DEMIAP contacte l’ANR pour obtenir un témoignage de son détenu. On cherche un troisième homme afin de valider le montage et incriminer Salomon Kalonda. L’officier du DEMIAP chargé de prendre contact exécute sa tâche. La présidence promet une forte récompense au témoin. Malheureusement, l’homme, originaire de Kisangani, qui réside à Goma prend la fuite. La piste des contacts avec le M23 s’effondre.
Hormis quelques échanges avec des officiels de Kigali – chose naturelle au regard des déplacements effectués ces dernières années par Moïse Katumbi et Salomon Kalonda dans la région – les enquêteurs ne trouvent rien de bien sérieux. Comment reprocher à Kalonda d’avoir entretenu des relations avec des autorités rwandaises au moment où le gouvernement Tshisekedi signait des accords de partenariats avec Kigali et que Félix Tshisekedi faisait applaudir son homologue Paul Kagame au stade des martyrs par 80.000 Kinois ?
Les enquêteurs font chou blanc. Mais la présidence et Peter Kazadi n’en démordent pas. Pas question de perdre la face et de libérer Salomon Kalonda.
Tshisekedi à la manoeuvre
Au 6ème jour de sa détention illégale, pour faire baisser la pression, le général Ndaywel instruit le colonel Ngodi Ngodi de dresser à l’intention de la presse la liste des accusations à charge de Salomon Kalonda. Dans les couloirs du service des renseignements, plusieurs officiers tentent de se dédouaner. Ils n'y sont pour rien murmurent-ils en affirmant que le communiqué du colonel Ngodi Ngodi a été rédigé par la Présidence et non par eux.
Dans la soirée, les colonels Raphe Muzimba de la DEMIAP et Jules Bowele de la Maison militaire ont des états d’âme. Les deux officiers se sentent abandonnés après l'enlèvement de Salomon Kalonda qu'ils ont opéré sur instruction de leur hiérarchie. Au tour d'un verre, au nganda "pinga mupepe" chez Jean Lambert à Kintambo vélodrome, ils s’épanchent devant leur entourage et déclarent avoir été utilisés dans une affaire sans fondement par le Général Franck Ntumba, le chef de la maison militaire de Félix Tshisekedi. Ambiance !
Reconduit contre toutes attentes à la tête de son service, le Général Ntumba a la confiance de Félix Tshisekedi. En octobre dernier, une source de la Présidence affirmait « si le président a renouvelé sa confiance au Général-major Buamunda Ntumba Franck, c’est avant tout pour récompenser la qualité de son travail. C’est un homme avec qui le Chef de l’Etat se sent pleinement en confiance et en harmonie et dont il éprouve de longue date la fidélité, sans parler de son expérience de la chose militaire ». Aucun doute, c’est bien Félix Tshisekedi qui est à la manœuvre de l’opération de déstabilisation de Moïse Katumbi et l’arrestation de son premier lieutenant.
Muyaya, le poids plume qui se rêve poids lourd
En dépit de la sortie médiatique du ministre de la Communication, alors que l’affaire est toujours en instruction, Patrick Muyaya, charge allègrement Salomon Kalonda et Moïse Katumbi. Le sémillant propagandiste du régime ne porte aucun gant dans ses attaques attribuant à l’ancien gouverneur du Katanga le soutien des médias et des influenceurs rwandais. Le message de Muyaya répond à la nouvelle antienne du pouvoir : il faut absolument enfoncer Moïse Katumbi et l’affubler de la casquette de collaborateur du Rwanda.
A mesure que les jours passent, les preuves montées par le DEMIAP s’avèrent trop légères. Des perquisitions sont programmées dans les résidences de Salomon Kalonda et de Moïse Katumbi à Kinshasa, à Lubumbashi et à Kindu. Les proches du Chairman sont aussi dans le viseur. Le directeur de Cabinet, Olivier Kamitatu, le journaliste Frédéric Kitenge, manager du TP Mazembe et promoteur de la chaîne Nyota et le ministre Christian Mwando sont dans le collimateur du pouvoir. Au premier on veut impliquer des contacts avec les milices qui opèrent dans sa province au Kwilu, au second des relations avec le général John Numbi, les ex-gendarmes katangais et les proches de Joseph Kabila, et au troisième des dossiers de détournements au Ministère du Plan qu’il vient fraîchement de quitter.
"Après avoir inventé des charges imaginaires postérieurement à son arrestation, le pouvoir cherche à fabriquer des preuves", affirme un avocat de Salomon Kalonda.
La première douche froide pour le tandem Peter Kazadi-Franck Ntumba tombe avec les révélations sur Joël Malembe, l’ancien membre du M23 détenu à l’ANR chargé de dresser des accusations contre Salomon Kalonda en échange de sa libération. L’affaire prend l’eau.
Le seconde douche froide tombe le 07 juin avec la preuve brandie par l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo que l’arme attribuée à Salomon Kalonda appartenait à son garde du corps qui l’avait perdue lors du sit-in le 25 mai dernier. Le numéro de l’arme de poing et son enregistrement au sein de l’unité à laquelle appartient le garde du corps de l’ancien Premier Ministre ne laissent aucun doute sur le montage grossier de la DEMIAP.
Au sein de la société civile, de l’Eglise Catholique aux organisations de défense des droits de l’homme, tout le monde s’émeut du sort réservé à Salomon Kalonda. Détenir plus longtemps le jeune leader du Maniema au cachot et interdire tout accès à ses avocats deviennent de plus en plus lourd à porter pour Peter Kazadi et Christian Ndaywel. Après François Beya, Jean-Marc Kabund et Fortunat Biselele, le dossier de Salomon Kalonda devient pour Félix Tshisekedi une charge bien encombrante. D’autant qu’au Katanga où Moïse Katumbi reçoit le soutien de ses fidèles et au Maniema, la province de Salomon Kalonda, la colère gronde. Tout comme au Kwilu et dans les Kivu, où les opposants au régime ont des bases solides.
Les diplomates occidentaux suivent de près l’évolution du dossier. Pour l’un d’entre eux, « l’arrestation brutale, la détention illégale et la volonté manifeste de monter un faux procès à Salomon Kalonda dans le but d’impliquer Moïse Katumbi dans une tentative de coup d’Etat ou de renversement du pouvoir en complicité avec le Rwanda, relève des bévues auxquelles plusieurs proches du Président nous ont habitué ».
Les jours qui viennent diront comment Félix Tshisekedi arrivera à se dépêtrer sans casse de son nouveau prisonnier politique et de cette affaire très mal engagée.
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